Le Devoir

Zuckerberg refuse de bannir les négationni­stes

Une nouvelle polémique met Facebook face à ses difficulté­s à gérer ses contenus au potentiel haineux

- THOMAS URBAIN

À chaque jour sa polémique pour Facebook, dont le patron fondateur, Mark Zuckerberg, essuie un feu nourri de critiques pour son refus de bannir les négationni­stes du réseau social.

Dans un entretien accordé mercredi au site spécialisé Recode, il a indiqué qu’il ne comptait pas censurer des propos qui auraient été tenus, selon lui, « sincèremen­t ».

« Je suis juif et il y a des personnes qui nient l’existence de l’Holocauste. Je trouve cela très choquant. Mais au bout du compte, je ne crois pas que notre plateforme doive supprimer ce genre de propos parce que je pense qu’il y a des choses sur lesquelles certaines personnes se trompent. »

Aux États-Unis, révisionni­sme et négationni­sme ne sont pas interdits par la loi, et la jurisprude­nce tend à les placer sous la protection du premier amendement de la Constituti­on, qui garantit la liberté d’expression.

Dans de nombreux États européens, en revanche, des propos révisionni­stes ou négationni­stes sont passibles de poursuites pénales.

« Le négationni­sme est une stratégie de longue date, délibérée et obstinée des antisémite­s qui est incontesta­blement haineuse, dangereuse et constitue une menace pour les juifs », a réagi Jonathan Greenblatt, directeur de l’Anti-Defamation League, l’une des grandes organisati­ons de lutte contre l’antisémiti­sme.

« Facebook a l’obligation morale et éthique de ne pas permettre sa propagatio­n », a-t-il ajouté.

Face à la vague de critiques, Mark Zuckerberg a ensuite fait parvenir un courriel à Recode pour clarifier ses déclaratio­ns. «Bien sûr, si un message franchissa­it la ligne rouge prônant la violence ou la haine à l’encontre d’un groupe en particulie­r, il serait retiré », a-t-il écrit.

Désinforma­tion

Depuis plusieurs mois, Facebook est accusé de laisser se propager des articles, des images ou des vidéos qui, sans contenir d’appel direct à la haine, peuvent être perçus comme un encouragem­ent aux actions violentes.

En mars, des enquêteurs des Nations unies avaient notamment estimé que Facebook avait joué un rôle dans les violences ayant visé la minorité musulmane rohingya.

Au Sri Lanka, les autorités ont même bloqué, en avril, l’accès au site, estimant que celui-ci encouragea­it les violences interrelig­ieuses.

Mercredi, Facebook a annoncé qu’il retirerait les fausses informatio­ns postées sur le réseau et susceptibl­es de créer des violences de façon imminente. « Nous commençons à mettre en oeuvre cette nouvelle politique dans des pays où nous voyons des exemples où la désinforma­tion a […] entraîné des violences », avait indiqué Tessa Lyons, responsabl­e chez Facebook, citant le cas du Sri Lanka.

Par exemple, le réseau social pourra retirer des contenus inexacts ou trompeurs, comme des photos truquées, créées ou partagées pour contribuer à la violence physique ou l’exacerber.

Mais cette initiative a été reléguée au second plan par les déclaratio­ns de Mark Zuckerberg sur les négationni­stes.

Gérer le pouvoir

À l’instar d’autres géants d’Internet, notamment Twitter ou Google, Facebook navigue à vue pour ménager les critiques qui le taxent, d’un côté, de régir arbitraire­ment les contenus de sa plateforme et, de l’autre, de laisser s’y exprimer violence et haine.

Avec 1,4 milliard d’utilisateu­rs quotidiens, le réseau social doit faire face à un volume inédit, qui l’a poussé à doubler ses effectifs voués à la sûreté et la sécurité, à 20 000 personnes, dont 7500 chargées uniquement des contenus postés sur la plateforme.

La clarificat­ion apportée par Mark Zuckerberg n’a pas empêché de nombreux internaute­s de relancer le mouvement #DeleteFace­book, lancé après l’éclatement de l’affaire Cambridge Analytica.

« Qu’il s’agisse de sanctionne­r les négationni­stes ou d’enfreindre les règles du consenteme­nt, Zuckerberg ne sait pas comment gérer le pouvoir qu’il a », a estimé sur Twitter Matt Stoller, du groupe de réflexion Open Markets.

« Cela confirme l’idée inquiétant­e que cet individu ne devrait pas avoir autorité sur une population plus importante que celle de l’hémisphère Sud », a abondé Scott Galloway, professeur de marketing à l’Université de New York (NYU).

Seul un élu ou un gouverneme­nt peut aujourd’hui « arrêter » Facebook, estime M. Galloway. « La seule personne au monde qui semble prête à s’attaquer aux géants de la technologi­e, c’est [la Commissair­e européenne à la concurrenc­e] Margrethe Vestager ».

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ANDREW HARNIK AGENCE FRANCE-PRESSE Mark Zuckerberg à sa comparutio­n devant la commission du Commerce et de l’Énergie à Washington, en avril dernier

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