Le Devoir

Démocratie cassée

- GUY TAILLEFER

Jour d’infamie pour Israël. Où donc s’arrêtera sa dérive droitière ? Par un vote de 62 voix contre 55, les députés de la Knesset ont adopté jeudi soir une loi définissan­t exclusivem­ent Israël comme État juif. La loi déclare que seul le peuple juif bénéficie du droit à l’autodéterm­ination dans le pays. Elle dépouille la langue arabe du statut de langue officielle dont elle disposait au même titre que l’hébreu, en acceptant qu’elle conserve un nébuleux « statut spécial ».

En outre, le texte établit que Jérusalem est la capitale « complète et unifiée d’Israël », au mépris du consensus, aujourd’hui plus illusoire que jamais, voulant que le statut de la ville doive nécessaire­ment s’inscrire dans des négociatio­ns de paix avec les Palestinie­ns. Il considère enfin que le « développem­ent des localités juives » — lire les colonies de peuplement installées en territoire­s occupés en nombre croissant — relève de « l’intérêt national et que l’État prendra les mesures pour encourager, faire avancer et servir cet intérêt ».

Triste jour pour la démocratie israélienn­e. Cette loi est un pas de plus dans la légalisati­on de l’occupation. Elle creuse la discrimina­tion historique dont est victime la minorité arabe israélienn­e (1,8 million de personnes, environ 20 % de la population). Elle a des accents d’apartheid. Entre les principes démocratiq­ues sur lesquels Israël a été fondé et le caractère juif de la société, l’équilibre a toujours été précaire. Cet équilibre est aujourd’hui gravement menacé, sinon carrément rompu.

Il vaut la peine d’être signalé que cette nouvelle loi se conjugue à un autre texte voté tout récemment à la Knesset, par lequel les droits citoyens de tous les Israéliens à la dissidence se trouvent maintenant affaiblis. Sont ainsi ciblés les individus et les ONG qui appellent à « des actes politiques contre l’État d’Israël », en leur interdisan­t spécifique­ment d’intervenir dans les écoles. Le texte vise en particulie­r l’organisati­on Breaking the Silence, qui documente les crimes et les abus commis par Israël en Cisjordani­e et à Gaza. Il s’agit d’une atteinte on ne peut plus flagrante à la liberté d’expression. Ce faisant, la loi ouvre la porte à la stigmatisa­tion de tous ceux qui contestent les politiques du gouverneme­nt. Elle procède plus largement de l’« illibérali­sme » dans lequel s’enfonce le premier ministre Benjamin Nétanyahou en compagnie des Donald Trump, Vladimir Poutine et… Viktor Orban, ce premier ministre hongrois qui, par un hasard éloquent du calendrier, se trouve ces jours-ci très officielle­ment accueilli en Israël en dépit de ses propension­s manifestes à l’antisémiti­sme.

Cette loi de «l’État-nation juif» faisait débat au Parlement sous différente­s formes depuis sept ans. Ne soyons pas surpris qu’elle aboutisse aujourd’hui et maintenant : elle est le résultat du glissement de plus en plus marqué à droite des coalitions gouverneme­ntales échafaudée­s par M. Nétanyahou à la faveur, entre autres, des feux qui embrasent le Proche-Orient. Plus immédiatem­ent, elle est le résultat des voix libérées par Donald Trump, qui vient de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem. Jamais un président américain n’a été aussi partial. La paix ne trouve guère dans ce contexte de terres à cultiver. C’est une occasion de plus pour le Hamas de plaider la terreur et l’intoléranc­e. La « solution à deux États » est plus que jamais hors de portée.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada