Le Devoir

Dans l’espace russe, époque soviétique

La station Salyut-7 aura été l’emblème de la guerre froide transplant­ée dans l’espace

- JÉRÔME DELGADO

On croyait la guerre froide morte et enterrée depuis des lunes. Et si c’était faux et qu’elle était en voie de renaître à l’écran? C’est la tête dans ces réflexions qu’on plonge dans les premières images du film russe Salyut-7.

Cette fiction tirée de faits réels nous ramène à 1985, alors que la conquête de l’espace est une des principale­s sources de tension entre les États-Unis et l’URSS. La trame du cinquième long métrage de Klim Shipenko tourne autour de la mission de sauvetage de la station spatiale Salyut-7, ou Saliout, sa dénominati­on française.

Au-delà de sa teneur historique, voire politique, Salyut-7 pourrait être perçu sur nos écrans comme la riposte soviétique (pardon, russe) à Hollywood. La mise en scène de Shipenko est en effet ponctuée de commentair­es, de citations et de petits détails à l’égard du cinéma nord-américain.

Impossible, par exemple, de ne pas penser à Gravity (2013), d’Alfonso Cuarón, lors des scènes d’ouverture qui nous poussent dans l’immensité du paysage. À l’instar du film multioscar­isé, on a droit à un dialogue teinté d’humour et de sérieux entre un homme et une femme pendant leur sortie dans l’espace.

Autre exemple : Cuarón montrait le programme spatial russe dans un état lamentable (une navette abandonnée, hors d’usage). Shipenko déterre Challenger, clin d’oeil à un des moments les plus sombres de la NASA.

Les pieds sur Terre

Les images spectacula­ires, à couper le souffle comme on dit — ce que le son parfois cuivré de la musique rehausse avec brio —, ne manquent pas. Salyut-7 ne se déroule pas cependant exclusivem­ent dans l’espace ou dans l’exiguïté d’un vaisseau.

Une grande partie du récit fait place à des scènes « terrestres », là où le réalisateu­r peut planter des perception­s plus humaines quant à cette guerre froide déplacée dans les étoiles. La manière n’est pas toujours réussie ni subtile, mais c’est comme si on ressentait le besoin, côté Moscou, de rompre avec l’image hautaine, rigide et monocorde du soviétisme.

Qui sait si Klim Shipenko a voulu enjoliver la conquête spatiale version socialiste, reste qu’il fait des autorités des êtres paranoïaqu­es. On est presque dans la caricature, mais une caricature plus dosée que dans le cinéma occidental.

La raison s’exprime plutôt chez les ouailles, autant auprès du commandant resté sur Terre (Alexandre Samoïlenko, plutôt solide) que du côté des deux cosmonaute­s en mission, incarnés par Vladimir Vdovichenk­ov et Pavel Derevyanko. L’initiative, la prise de libertés et le sacrifice personnel, volontaire et non imposé, auraient non seulement existé en URSS ; ils sont décisifs.

Le film ne tombe pas dans un discours idéologiqu­e, ne serait-ce que par les pointes d’humour qui le colorent. Les rebondisse­ments narratifs et les excentrici­tés scientifiq­ues, comme chez Cuarón, sont d’ailleurs là davantage pour les besoins du spectacle que pour le service d’un message.

Et comme dans tout bon spectacle destiné à un happy ending,Salyut-7 se termine sur une note positive. Là est peut-être la petite déception, tant le drame s’annonçait définitif. Il est vrai que si on se rapporte au fait réel, le sauvetage se conclut sans mort d’homme.

La riposte russe, si elle avait vraiment voulu frapper fort, aurait dû s’appuyer sur un ton moins à l’eau de rose. Au bout du compte, on est loin d’une guerre froide, même cinématogr­aphique. Celle-là a aussi déjà eu lieu, à l’époque des Kubrick et Tarkovsky.

Salyut-7

Drame de Klim Shipenko. Avec Vladimir Vdovichenk­ov, Pavel Derevyanko, Lyubov Aksyonova. Russie, 2017,

119 minutes.

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Salyut-7 pourrait être perçu sur nos écrans comme la riposte soviétique (pardon, russe) à Hollywood. La mise en scène de Shipenko est en effet ponctuée de commentair­es, de citations et de petits...
AZ FILMS Au-delà de sa teneur historique, voire politique, Salyut-7 pourrait être perçu sur nos écrans comme la riposte soviétique (pardon, russe) à Hollywood. La mise en scène de Shipenko est en effet ponctuée de commentair­es, de citations et de petits...

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