Le Devoir

Wesli et les trésors des lakous

L’auteur-compositeu­r-interprète se produira au festival Haïti en folie

- PHILIPPE RENAUD

wesli, auteur, compositeu­r, guitariste et interprète montréalai­s, désormais archiviste du patrimoine musical d’Haïti.

Rapadou, son cinquième album, est à moitié constitué de chansons folkloriqu­es recueillie­s auprès des lakous, les archives officieuse­s de la nation haïtienne, aussi nombreuses sur l’île qu’il y a de clans, de familles, de génération­s pour transmettr­e ce trésor culturel. « Si on n’approche pas la musique de racines avec respect, ça devient une autre forme de musique. Je chante ces chansons avec beaucoup d’humilité, car je crois que les Haïtiens méritent que l’on respecte ce patrimoine musical », affirme Wesli.

Né à Port-au-Prince, Wesley Louissaint conserve évidemment de puissants liens avec l’île ; il y est retourné souvent depuis la sortie de son précédent album, il y a trois ans, pour dénicher ces chansons rescapées de l’oubli par les gardiens des lakous, qui conservent l’histoire de leur famille depuis l’exil forcé du continent africain. « J’ai fait beaucoup de recherche dans ces archives, il y en a partout ! s’emballe encore le Montréalai­s. Partout, on a conservé l’histoire de ces chansons. »

Les noms des auteurs et compositeu­rs originaux se sont perdus dans les fissures du temps passé, mais les refrains, les rythmes et les mots sont encore vivants, abonde Wesli. « J’ai beaucoup de respect pour ces gens qui ont donné leur temps, jour et nuit, pour conserver ces chansons et ces rythmes… »

Et ça s’entend. Beau, lumineux Rapadou, une généreuse offrande de vingt et une chansons, presque la moitié d’entre elles retrouvées dans les lakous, le mot désignant autant la communauté, la famille qu’un lieu physique, le petit village du clan (« lakou», du mot français «la cour»). Toutes des chansons de troubadour­s, précise Wesli : « C’est précisémen­t ce patrimoine que je voulais préserver. Avec le temps et les progrès technologi­ques, les orgues et les synthétise­urs, on a perdu de ces éléments distinctif­s de la musique populaire d’Haïti», comme le violon, les orchestrat­ions de cuivres des grands orchestres populaires, le vrai son de l’accordéon, aujourd’hui remplacé dans le kompa par un son de synthé.

Musique populaire

C’est le son de la musique populaire créole d’avant l’invention du kompa, au milieu des années 1950, par le légendaire Nemours Jean-Baptiste. «Luimême était issu de cette ère des grands orchestres » qui l’ont inspiré sur Rapadou. Il est là, l’accordéon, joué de manière resplendis­sante par le musicien d’origine moldave Sergiu Popa sur Pran

Pasyans, une compositio­n du fameux Orchestre Tropicana d’Haïti. Wesli a aussi troqué sa guitare pour le banjo, l’instrument du troubadour « qui est arrivé en Haïti lorsque les cueilleurs de canne à sucre sont revenus de Cuba et de République dominicain­e », emportant avec eux le souvenir musical de ce séjour, lui aussi forcé.

L’autre moitié de Rapadou, c’est du pur Wesli, ce formidable métisseur de musiques d’Afrique, de rythmes afro-latins et de musiques populaires créoles. « Au Québec, on a la chance d’avoir une scène musicale riche et inspirante, abonde-t-il. Si on est ouvert, si on a envie d’essayer, d’apprivoise­r différents styles de musique, ensuite, ça nous permet de rejoindre davantage de gens. C’est pour ça que tout le monde se retrouve dans ma musique », assure celui qui rentre tout juste d’une tournée européenne et que l’on pourra entendre au festival Haïti en folie le 28 juillet, au parc Lafontaine.

Le plus fascinant, c’est de constater à l’écoute de Rapadou combien l’histoire musicale se répète. La modernité en musiques populaires se mesure à ses métissages, à ses amalgames de différente­s influences dans l’espoir de créer un son novateur. La musique de Wesli est à la fois antillaise, africaine (sur Morisdézo, collaborat­ion avec Vox Sambou), latinoamér­icaine (Boogat retrouve à nouveau son collègue sur la chanson

3Fey)… exactement le même genre de métissages que faisaient les grands orchestres haïtiens des années 1940 et 1950, comme L’Orchestre septentrio­nal, L’Orchestre Weber Sicot, Les Difficiles de Pétion-Ville et Les Pachas du Canapé Vert, pour ne nommer qu’eux. «Tout ce qui nous entoure influence notre musique. Il faut ouvrir les oreilles et écouter autour de soi, mais il faut ensuite offrir des chansons qui nous représente­nt. Ce son que j’offre, c’est la somme de mes connaissan­ces et de mes influences », commente Wesli, qui tout en développan­t sa carrière en Europe annonce déjà la parution d’un nouvel album « plus moderne et électroniq­ue » pour le mois d’octobre.

En terminant, la question qui nous brûle les lèvres: ça signifie quoi au juste, rapadou ? « Rapadou ? C’est du sucre de canne fermenté et conservé dans un bois de bambou. Ça devient un gros bâton de sucre qui se conserve très bien et que l’on utilise en Haïti dans notre café le matin. Ça représente bien ce disque : quelque chose de sucré, quelque chose qui réveille, indispensa­ble dans notre café, et quelque chose qui représente mes racines. »

Rapadou ? C’est du sucre de canne fermenté et conservé dans un bois de bambou. Ça devient un gros bâton de sucre qui se conserve très bien et que l’on utilise en Haïti dans notre café le » matin. Ça représente bien ce disque : quelque chose de sucré, quelque chose qui réveille, indispensa­ble dans notre café, et quelque chose qui représente mes racines. WESLI

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JOSUÉ BERTOLINO L’album Rapadou de Wesli est à moitié constitué de chansons folkloriqu­es recueillie­s auprès des lakous, les archives officieuse­s de la nation haïtienne.

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