Le Devoir

Début de dialogue entre Lepage et les Autochtone­s

- JÉRÔME DELGADO

Pris dans une potentiell­e seconde controvers­e après celle de SLĀV, Robert Lepage a décidé de défendre Kanata, sa prochaine production, auprès des gens susceptibl­es d’être victimes d’appropriat­ion culturelle.

Des propos tranchés et à fleur de peau, quoique dans le respect et même avec humour, ont animé la rencontre entre Lepage, Ariane Mnouchkine et 35 personnali­tés autochtone­s, tenue jeudi soir à huis clos, à Montréal. Aucun projet concret n’a été conclu. Mais

la discussion a créé un précédent qu’on espère fructueux.

« Il s’agit d’un premier pas vers une affirmatio­n collective de ce qui devrait être fait lorsqu’une oeuvre est créée sur l’histoire des Autochtone­s », liton dans le communiqué publié par un collectif autochtone ad hoc.

Le projet Kanata, conçu pour le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, a soulevé l’ire des communauté­s autochtone­s. C’est après leur réaction publiée dans Le Devoir que leurs représenta­nts ont été invités à rencontrer le célèbre homme de théâtre et sa partenaire européenne, venue de Paris pour cette seule raison.

Sur invitation d’Ariane Mnouchkine,

Kanata sera créé en décembre par la troupe multicultu­relle du Théâtre du Soleil. Ce n’est pas tant l’absence sur scène d’interprète­s autochtone­s qui est déplorée qu’une relecture de l’histoire du Canada excluant les créateurs issus des Premières Nations.

Il n’a pas été possible de recueillir les commentair­es de Robert Lepage, puisque « en création actuelleme­nt, il lui est impossible de se libérer », selon un courriel de sa compagnie, Ex Machina. Selon les témoignage­s de ceux qui ont assisté à la rencontre, Lepage a été clair sur un point : il ne modifiera pas l’équipe derrière Kanata.

« Il n’y a pas de guerre. Le positif [de la rencontre] est le fait qu’on s’est assis ensemble, qu’on a parlé. Je n’ai pas l’impression qu’on se comprend, mais au moins l’effort est mutuel et sincère », résume Alexandra Lorange, juriste en droit autochtone, douze heures après la fin des discussion­s.

André Dudemaine, directeur du Festival Présence autochtone, affirme aussi tirer du positif de ces premiers pourparler­s.

« On se parlait d’une rive à l’autre et, à la fin, la rivière s’est rétrécie. Oui, on a été entendus, mais tout malentendu n’a pas été écarté. Il y a encore des distances culturelle­s », estime-t-il.

Méconnaiss­ance, encore

Alexandra Lorange, André Dudemaine ou encore Dave Jeniss, acteur et directeur artistique du théâtre Ondinnok, affirment ne pas remettre en cause la liberté de création de qui que ce soit. Ils avouent même avoir mieux compris, jeudi soir, la démarche derrière Kanata. Ce qui les déçoit et choque, c’est l’attitude eurocentri­ste du théâtre d’élite.

« Notre théâtre n’est pas de tradition européenne. On a des codes différents, un message différent et des façons de faire qui touchent à la mythologie, avec de la danse et du chamanisme. On a manqué une occasion de montrer vraiment l’art autochtone… Ça aurait fait une belle alliance sur scène », commentait vendredi Dave Jeniss, à l’émission Gravel le matin de Radio-Canada.

Méconnaiss­ance

Kanata serait-il acceptable en tant que regard qui assumerait ses possibles erreurs et trous ? Pas pour Alexandra Lorange. « Je me questionne vivement sur la manière de créer des costumes ou des maquillage­s, sans nous », dit la diplômée en musique et en théâtre.

Lors de la rencontre, Robert Lepage a annoncé que des tambours seraient utilisés. Ses commentair­es font dire à Alexandra Lorange qu’il fait preuve de méconnaiss­ance.

«Il ne comprend pas le processus d’apprentiss­age du tambour. C’est de l’ordre du sacré. Lui, il sort du spirituel et en fait quelque chose de différent. Ce n’est peut-être pas un manque de respect, mais de l’ignorance », juge-telle.

Au lendemain de la rencontre, le principal intéressé est resté coi. Seul écho, celui d’un bref communiqué de presse.

« Bien que les inquiétude­s n’aient pas toutes été levées, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage pensent pouvoir espérer qu’un grand pas a été fait vers une compréhens­ion réciproque », y liton notamment.

Oui, un pas a été fait, reconnaiss­ent les participan­ts autochtone­s, reste à espérer qu’un deuxième et d’autres suivront.

Lepage et Mnouchkine ont invité les artistes à leur proposer des projets. André Dudemaine souhaite que ces paroles traduisent un réel souhait de réconcilia­tion.

« Il n’y aura pas forcément une postface de Kanata, mais quelque chose du genre », suppose celui qui dirige Présence autochtone depuis 28 ans.

Réconcilia­tion

La réconcilia­tion ne consiste pas seulement, note-t-il, « à se serrer dans les bras», mais à accepter «qu’une histoire tragique, un génocide culturel » fait partie de l’histoire canadienne.

La réconcilia­tion passe aussi par la reconnaiss­ance, insiste André Dudemaine, chose encore incomplète, malgré des progrès. « On a besoin de l’appui de figures géantes comme Lepage. D’où le sentiment d’un rendez-vous manqué. »

« J’ai lancé l’idée qu’on ne pouvait pas se marier après une date. J’ai proposé qu’on échange nos numéros et qu’on se rappelle », commente Alexandra Lorange, qui admet que la discussion, si elle a débuté avec tension, s’est terminée avec des rires. Présage, espère-t-elle, à un nouveau tête-à-tête.

On se parlait d’une rive à l’autre et, à la fin, la rivière s’est rétrécie. Oui, on a été entendus, mais tout malentendu n’a pas été écarté. Il y a encore des distances culturelle­s. ANDRÉ DUDEMAINE

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