Dans l’oeil de l’OCDE
La plus récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au sujet du Canada pose le bon diagnostic. Mais comme c’est souvent le cas, plusieurs de ses recommandations se heurtent à la position des partis au pouvoir. C’est normal, puisque ce sont les élus qui sont jugés par les électeurs. D’autant que les propositions de l’OCDE sont elles-mêmes issues de conceptions du changement qui ne sont pas neutres. Financée par les 35 pays membres, dont le Canada, les États-Unis et les membres de l’Union européenne, l’OCDE n’inclut ni la Russie ni la Chine pour le moment. Elle n’est pas là pour remettre en cause l’économie de marché et l’ouverture des pays au libre commerce, au contraire. Plutôt libérale dans son approche, elle se définit comme un forum où les gouvernements, membres ou pas, peuvent « partager leurs expériences» et cibler «les meilleures pratiques » en toute matière susceptible de favoriser « une vie meilleure ».
D’entrée de jeu, les auteurs de la plus récente étude sur le Canada admettent que le pays « enregistre des scores élevés dans toutes les dimensions de l’indicateur de mieux-être de l’OCDE », en particulier la sécurité personnelle, le bien-être et l’état de santé de ses habitants. Ils constatent que l’économie se porte bien malgré la menace que font peser le marché immobilier et l’incertitude commerciale. Les États-Unis étant un membre influent au sein de l’organisation, on ne parle pas de guerre commerciale, mais de « restrictions aux échanges ».
Cela dit, l’étude pointe des problèmes sérieux auxquels on propose des remèdes qui sont loin de faire l’unanimité pour des raisons éminemment politiques, à gauche et à droite. Devant l’écart de revenus plus important que dans la moyenne des pays membres entre les hommes et les femmes, l’étude propose de suivre l’exemple du Québec, qui met l’accent sur une offre de services de garde plus généreuse que dans le reste du Canada. Rien de révolutionnaire, en somme. Pourtant, le financement public des garderies rencontre encore beaucoup d’opposition dans certains coins du Canada et dans certains partis qui préfèrent que les femmes restent à la maison.
L’OCDE critique aussi le fait que la vaste majorité des travailleurs prennent leur retraite à 60 ou 65 ans malgré une espérance de vie plus longue de 3,5 années comparativement à il y a trente ans. On se rappellera que c’est le gouvernement Trudeau qui a abrogé la loi adoptée par les conservateurs prévoyant le report à 67 ans de l’admissibilité à la sécurité de la vieillesse. Sachant qu’il serait difficile de revenir sur cette décision, l’OCDE propose plutôt de hausser l’âge de la retraite en fonction de l’espérance de vie à l’avenir.
Elle suggère du même souffle de hausser les prestations pour éviter d’appauvrir les retraités, dont les revenus n’augmentent jamais aussi vite que ceux des travailleurs actifs. Deux très bonnes mesures qui devraient être reprises par les partis politiques. Ce qui risque peu de se produire, malheureusement.
Au sujet de l’immigration, l’OCDE félicite le Canada pour le nombre élevé de nouveaux arrivants, mais recommande de mettre davantage l’accent sur l’apprentissage de l’une des deux langues officielles et suggère d’accorder la priorité aux candidats qui possèdent déjà une expérience du marché du travail canadien. Deux propositions qui semblent évidentes pour les uns, mais qui sont rejetées par les défenseurs d’une immigration essentiellement humanitaire.
En environnement, c’est le retard du Canada dans le dossier du réchauffement climatique qui fait l’objet des remarques les plus acerbes. Car l’OCDE approuve la lutte contre le réchauffement et prêche pour une écofiscalité plus offensive. Il va sans dire qu’avec l’élection de Doug Ford en Ontario et la décision du gouvernement Trudeau de devenir propriétaire du pipeline Trans Mountain et d’en doubler la capacité, le Canada s’éloigne de ses propres engagements internationaux.
Et pour ce qui est de la fiscalité générale, l’OCDE croit que le Canada doit redevenir plus concurrentiel avec son voisin américain pour favoriser l’investissement et misant davantage sur les taxes à la consommation (TPS) plutôt que sur l’impôt sur le revenu. En revanche, elle rappelle son opposition aux mesures préférentielles à l’égard des PME, mesures qu’elle juge coûteuses, inéquitables et improductives, ce qui est juste. De là à imaginer qu’un gouvernement, quel qu’il soit, bleu, orange, rouge ou marron clair, osera ramener le fardeau fiscal des centaines de milliers de PME au même niveau que celui de la poignée de grandes entreprises, il y a un pas qu’aucun observateur sérieux n’osera franchir.