Le Devoir

L’affaire Lepage

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La controvers­e provoquée par l’absence d’acteurs autochtone­s dans Kanata, le futur spectacle de Robert Lepage, est dangereuse précisémen­t pour les personnes qui l’attaquent. Alors qu’il serait criminel de se faire passer pour une victime (que ce soit un enfant des Premières Nations, une victime de l’esclavage ou un survivant de l’Holocauste) dans la « vie réelle », il a toujours fait partie de l’acte de création de les incarner. L’Art est artifice et le théâtre est imitation. Toutes les actrices qui ont tenu le rôle d’Anne Franck sur scène n’étaient pas juives et tous les acteurs qui ont tenu celui d’Othello n’étaient pas noirs. Imposer de telles règles en invoquant l’appropriat­ion culturelle revient à limiter l’art à l’autobiogra­phie. Les critiques émises par les soidisant « voix libérales » nuisent fortement au libéralism­e même. En essayant de réduire Robert Lepage au silence, ses critiques donnent des arguments aux idéologues de droite qui désirent que chaque communauté (définies par les hiérarchie­s au pouvoir) reste dans son propre ghetto et se soumette ainsi à une simple tolérance ou à une prohibitio­n absolue. Si nous exigeons que seules les victimes soient autorisées à parler pour elles-mêmes, nous les enfermons dans un statut permanent de victime sans espoir de libération. Alberto Manguel, directeur de la Bibliothèq­ue nationale de l’Argentine Le 18 juillet 2018

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