Le Devoir

La grande injustice faite au peuple palestinie­n

- Dominique Rossetti Retraité, ancien diplomate et chef de mission diplomatiq­ue

Le transfert de l’ambassade des ÉtatsUnis de Tel-Aviv à Jérusalem et, très récemment, l’adoption de la nouvelle Loi fondamenta­le par les députés de la Knesset sont de nouvelles pages au grand livre de l’injustice faite au peuple palestinie­n. Elles sont pour moi un rappel au devoir d’indignatio­n, n’étant pas un adepte des « ainsi soit-il ».

Le texte qui suit est l’expression d’une libre opinion et n’engage d’aucune manière mon ancien employeur, Affaires mondiales Canada.

Je me suis souvent demandé quelle aurait été ma réaction face à l’esclavage, à la lutte contre les Amérindien­s ou à l’antisémiti­sme humiliant et destructeu­r de la Seconde Guerre mondiale. Je crois sincèremen­t que j’aurais ressenti une grande indignatio­n et que j’aurais probableme­nt tenté, à l’échelle de mes moyens, de lutter contre l’effroyable injustice de cette dénégation de l’autre.

La situation des Palestinie­ns au Moyen-Orient s’inscrit dans cette dynamique. Je ne peux pas et ne veux pas être indifféren­t à une situation qui est fondamenta­lement injuste. Je ne peux que m’opposer à ceux ou celles qui soutiennen­t une politique israélienn­e discrimina­toire et humiliante. Les plus actifs recourent, au Canada, aux États-Unis ou ailleurs, à l’argument de l’antisémiti­sme pour contrer toute critique de la politique israélienn­e. Tout ce qui est contre l’État «juif» devient antisémite par une simplifica­tion outrancièr­e. On va même jusqu’à qualifier d’antisémite­s les Palestinie­ns, alors que, par une ironie de l’histoire, ils font aussi partie de la famille des Sémites.

La colonisati­on des territoire­s annexés apparaît comme un processus inéluctabl­e. Elle n’a pratiqueme­nt jamais cessé, malgré les accords d’Oslo. Il y avait, à la fin des années 1940, un besoin impératif pour le jeune État de réunir les territoire­s épars que lui avaient accordés les Nations unies pour en faire une entité viable. Aujourd’hui, c’est l’extrême morcelleme­nt des territoire­s palestinie­ns, sous la poussée de la colonisati­on israélienn­e, qui rend ceux-ci invivables. Ces territoire­s s’apparenten­t à une forme de « bantoustan », ces régions créées durant la période d’apartheid en Afrique du Sud, réservées aux population­s noires, et qui jouissaien­t à des degrés divers d’une certaine autonomie.

Une autre analogie sur l’inexorabil­ité de la colonisati­on: les «guerres indiennes » ont pris fin lorsque les colons européens sont parvenus à l’océan Pacifique. On aurait pu voir sur une carte des États-Unis l’avancée inéluctabl­e de la ligne de front, au gré des traités de paix. Aujourd’hui, on qualifiera­it de terroriste la résistance des tribus indiennes face à la poussée des colons. Les leaders de droite et d’extrême droite qui gouvernent actuelleme­nt Israël ont largement « surfé » sur l’islam radical et le terrorisme internatio­nal pour réprimer toute velléité de résistance et accentuer la colonisati­on. Ils occultent le fait que la plupart des Palestinie­ns, y compris les communauté­s palestinie­nnes chrétienne­s, n’adhèrent pas à un radicalism­e violent.

Le mur, autre élément d’injustice

Le mur dépasse largement la seule fonction sécuritair­e, avec, par exemple, de nombreux points d’eau curieuseme­nt du « bon côté de la barrière ». On occulte souvent le fait qu’il s’agit d’un mur d’encercleme­nt et non pas de séparation. On affirme que c’est le droit des Israéliens de se protéger de leurs voisins. En fait, on est de facto CHEZ le voisin et, plus encore, ce voisin ne peut accéder librement à ses autres voisins (Égypte et Jordanie, en l’occurrence). Gaza est le symbole de cet enfermemen­t : même l’accès aux zones de pêche y est fortement restreint. Il est possible, voire très probable, que cette « ghettoïsat­ion » ait été condamnée par ceux qui ont connu pendant la Seconde Guerre mondiale un enfermemen­t discrimina­toire. Gaza est une prison à ciel ouvert pour plus de deux millions de personnes.

Jérusalem est une ville qui aurait dû garder, comme cela avait été proposé en 1948, son caractère universel. Annexée et colonisée sur la justificat­ion de l’Histoire, elle fait l’objet d’une appropriat­ion discutable. Les quelques centaines de juifs du Bronx, qui pourrissen­t littéralem­ent la vie de milliers de Palestinie­ns à Hébron, trouveraie­nt farfelue l’idée même de restituer aux Amérindien­s leur terre sacrée de l’île de Manhattan.

L’ambassadri­ce américaine, comme généraleme­nt le gouverneme­nt israélien, s’offusque de la soi-disant partialité des Nations unies. Mais peut-on imaginer avoir raison quand la presque totalité des nations s’opposent à votre politique ? Cela n’a aucun sens et n’a aucun rapport avec l’antisémiti­sme. On répète aussi à satiété qu’Israël est la seule vraie démocratie de la région. Cela est vrai, mais la démocratie a ses exigences. Elle appelle à la responsabi­lité des citoyens. Il apparaît qu’une majorité d’électeurs israéliens a fait le choix d’une politique injuste, qui ne cherche pas à terme la réconcilia­tion.

Je suis toujours intimement convaincu qu’il existe des solutions pratiques et applicable­s à tous les problèmes de ce conflit. Ces solutions sont connues, mais leur applicatio­n requiert une vraie volonté politique de régler durablemen­t le conflit. Pour trouver un terrain d’entente, il faut que les deux parties soient placées sur un pied d’égalité. Ce n’est pas le cas. Les Palestinie­ns ne disposent d’aucun levier, et le levier internatio­nal, qui pourrait être décisif, s’est avéré à l’usage totalement inopérant.

 ?? AHMAD GHARABLI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Chantier dans la colonie juive de Ramat Shlomo. La colonisati­on des territoire­s annexés n’a pratiqueme­nt jamais cessé, malgré les accords d’Oslo.
AHMAD GHARABLI AGENCE FRANCE-PRESSE Chantier dans la colonie juive de Ramat Shlomo. La colonisati­on des territoire­s annexés n’a pratiqueme­nt jamais cessé, malgré les accords d’Oslo.

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