Jours d’été et bêtise aquatique
Chaque année, l’arrivée des splendides jours d’été, aussi merveilleusement soudains que stupéfiants de brièveté, coïncide avec la réquisition hostile de certains des plus beaux plans d’eau du Québec par l’escouade des moteurs en furie.
Rarement petits, parfois moyens, souvent trop gros et très souvent beaucoup trop gros, les engins hurlent, vrombissent, gargouillent, boucanent, suintent, rugissent, pilonnent, sillonnent, zigonnent, zigzaguent, passent, repassent, outrepassent et se surpassent sans répit, garrochant par-dessus bord des gallons de pétrole aussi chèrement payés que rapidement vomis dans la nature.
Pendant que les Sea-doo bourdonnent et maringouinnent à temps plein au bord de la plage dans une cacophonie mariant la sableuse à ruban, la fraiseuse du dentiste et la scie à chaîne en perdition, démontrant leur très inspirante adresse aux baigneurs impressionnés qui pataugent dans l’huile, les bateauxà-vagues — oui, quelqu’un a eu l’idée d’inventer ces abominables machins faits spécifiquement pour détabarnaquer les berges et le fond des lacs au maximum — ajoutent une solide dose de top-forty craché assez fort pour que la population environnante ait le privilège d’en comprendre les paroles par-dessus le barda de toutes ces mécaniques.
Vous pensiez vous installer au bord de l’eau pour y respirer du bon air, prendre du soleil, vous saouler du son des vagues et de la caresse du vent? Vous n’êtes que des granoles finis malencontreusement sortis de leurs ponchos des années 1960. Fuck you. Vous vous taperez le nuage de gaz et la foire d’empoigne entre les pistons, les hélices, Despacito et Enter Sandman, ou bien vous retournerez fumer de la camomille dans votre tente en laine bio. Vous aviez l’idée saugrenue de faire du canot, du kayak, ou, summum de la fifure, de la voile? Dans un vortex de monoxyde, de vagues anarchiques, de vacarme et de manoeuvres ineptes, on vous écoeurera assez pour que vous sortiez de l’eau en courant, vos agrès de hippie sous le bras. Dehors, les faiseux de macramé et les mangeux de luzerne ! L’avenir appartient au douchebag mégapétropropulsé équipé pour se rendre à Saint-Malo d’un seul coup de manette et affronter un tsunami en chemin. Si traverser le lac te prend plus de temps qu’avaler une demie-Coors light et ne fait pas déguerpir la faune à des kilomètres à la ronde, tu n’as pas d’affaire là.
En ces temps où se préoccuper d’environnement est à la mode, le triste spectacle de ces joyaux de notre territoire transformés en déversoirs à bêtise anti-écologique à ciel ouvert est évidemment plus anachronique que jamais. Mais, plus largement, c’est au nom du civisme et du plus élémentaire bon sens que nous devrions agir pour que soit cultivée et préservée pour tous la possibilité de jouir pleinement des trésors naturels dont nous sommes collectivement fiduciaires. Non, un lac n’est pas une grande flaque qu’on entourera de gazons, de murets et de lampadaires avant de s’y jeter toutes pétarades dehors, ignorant et piétinant bêtement l’inestimable bien-être que nous tendait si gracieusement ce merveilleux milieu naturel.
Qui osera, au risque de perdre quelques votes, mettre en avant une politique d’utilisation intelligente — notamment, de motorisation raisonnable — des cours d’eau du Québec ? Il en est plus que temps.
Le triste spectacle de ces joyaux de notre territoire transformés en déversoirs à bêtise anti-écologique à ciel ouvert est plus anachronique que jamais