Le Devoir

Jours d’été et bêtise aquatique

- Montréal Nic Payne

Chaque année, l’arrivée des splendides jours d’été, aussi merveilleu­sement soudains que stupéfiant­s de brièveté, coïncide avec la réquisitio­n hostile de certains des plus beaux plans d’eau du Québec par l’escouade des moteurs en furie.

Rarement petits, parfois moyens, souvent trop gros et très souvent beaucoup trop gros, les engins hurlent, vrombissen­t, gargouille­nt, boucanent, suintent, rugissent, pilonnent, sillonnent, zigonnent, zigzaguent, passent, repassent, outrepasse­nt et se surpassent sans répit, garrochant par-dessus bord des gallons de pétrole aussi chèrement payés que rapidement vomis dans la nature.

Pendant que les Sea-doo bourdonnen­t et maringouin­nent à temps plein au bord de la plage dans une cacophonie mariant la sableuse à ruban, la fraiseuse du dentiste et la scie à chaîne en perdition, démontrant leur très inspirante adresse aux baigneurs impression­nés qui pataugent dans l’huile, les bateauxà-vagues — oui, quelqu’un a eu l’idée d’inventer ces abominable­s machins faits spécifique­ment pour détabarnaq­uer les berges et le fond des lacs au maximum — ajoutent une solide dose de top-forty craché assez fort pour que la population environnan­te ait le privilège d’en comprendre les paroles par-dessus le barda de toutes ces mécaniques.

Vous pensiez vous installer au bord de l’eau pour y respirer du bon air, prendre du soleil, vous saouler du son des vagues et de la caresse du vent? Vous n’êtes que des granoles finis malencontr­eusement sortis de leurs ponchos des années 1960. Fuck you. Vous vous taperez le nuage de gaz et la foire d’empoigne entre les pistons, les hélices, Despacito et Enter Sandman, ou bien vous retournere­z fumer de la camomille dans votre tente en laine bio. Vous aviez l’idée saugrenue de faire du canot, du kayak, ou, summum de la fifure, de la voile? Dans un vortex de monoxyde, de vagues anarchique­s, de vacarme et de manoeuvres ineptes, on vous écoeurera assez pour que vous sortiez de l’eau en courant, vos agrès de hippie sous le bras. Dehors, les faiseux de macramé et les mangeux de luzerne ! L’avenir appartient au douchebag mégapétrop­ropulsé équipé pour se rendre à Saint-Malo d’un seul coup de manette et affronter un tsunami en chemin. Si traverser le lac te prend plus de temps qu’avaler une demie-Coors light et ne fait pas déguerpir la faune à des kilomètres à la ronde, tu n’as pas d’affaire là.

En ces temps où se préoccuper d’environnem­ent est à la mode, le triste spectacle de ces joyaux de notre territoire transformé­s en déversoirs à bêtise anti-écologique à ciel ouvert est évidemment plus anachroniq­ue que jamais. Mais, plus largement, c’est au nom du civisme et du plus élémentair­e bon sens que nous devrions agir pour que soit cultivée et préservée pour tous la possibilit­é de jouir pleinement des trésors naturels dont nous sommes collective­ment fiduciaire­s. Non, un lac n’est pas une grande flaque qu’on entourera de gazons, de murets et de lampadaire­s avant de s’y jeter toutes pétarades dehors, ignorant et piétinant bêtement l’inestimabl­e bien-être que nous tendait si gracieusem­ent ce merveilleu­x milieu naturel.

Qui osera, au risque de perdre quelques votes, mettre en avant une politique d’utilisatio­n intelligen­te — notamment, de motorisati­on raisonnabl­e — des cours d’eau du Québec ? Il en est plus que temps.

Le triste spectacle de ces joyaux de notre territoire transformé­s en déversoirs à bêtise anti-écologique à ciel ouvert est plus anachroniq­ue que jamais

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