La démesure d’Eames Demetrios à Montréal |
La SAT reçoit une des pages en bronze d’un livre étalé dans 27 pays
Le projet a un nom imprononçable. Ou alors, il faut prendre conseil auprès de son auteur, Eames Demetrios. « Kyemaer-icks-theer », répète-t-il, à notre demande.
Kcymaerxthaere, comme vous l’avez lu, est le projet qui a fait atterrir le Californien à Montréal. Il est venu y officialiser l’apparition, sur la terrasse de la Société des arts technologiques (SAT), d’une plaque en bronze qui donne à Kcymaerxthaere son identité montréalaise. Qui fait de Montréal, si vous préférez, une étape de Kcymaerxthaere.
Mais qu’est-ce que Kcymaerxthaere ? Aussi difficile à définir qu’à dire. Il s’agit aussi bien d’une oeuvre littéraire, de fiction qu’une installation planétaire. D’un ensemble de destinations pour touristes fanatiques, à l’instar de celles recherchées par des lecteurs du phénomène Da Vinci Code. Ou, dans l’image adoptée par la SAT, d’un « gigantesque puzzle mythologique », étalé dans vingt-sept pays. La nouvelle plaque en est le 135e morceau.
« On ne peut pas expérimenter cette plaque sans expérimenter Montréal, dit Eames Demetrios, sous sa double paire de lunettes. En venant la voir, tu n’as pas le choix de voir la ville. »
Celui qui se considère comme géographe libre (« geographer at large »), et non écrivain ni artiste, n’arrive pas non plus à définir son projet. Il affirme tout de même avoir lancé, il y a quinze ans,
On ne peut pas expérimenter cette plaque sans expérimenter Montréal. En venant la voir, tu n’as pas le choix de voir la ville. EAMES DEMETRIOS
quelque chose d’unique.
L’homme respire la simplicité, malgré l’ampleur démesurée de son Kcymaerxthaere. Il a voulu s’éloigner de la narration classique, de nature « égoïste », selon lui. Les fictions s’inventent des mondes fermés, imperméables à la réalité du lecteur.
«Ces mondes n’existent pas pour nous. J’ai voulu créer un univers parallèle, basé d’abord sur le monde [des lecteurs]. Le récit vient en second », dit cet hurluberlu terre à terre. Du genre qui assume tous les frais de ses folies.
Héritier d’un esprit inventif
Petit-fils de Charles et Ray Eames, célèbre couple de designers, Eames Demetrios tente de maintenir vivant le filon créatif de la famille. Certes, il est tombé tout près de l’arbre. Si son prénom n’est pas une fantaisie artistique, mais le choix de sa mère, il a aussi hérité de la fondation qui veille sur l’oeuvre de ses aïeux maternels.
Le design Eames est d’une simplicité désarmante et raffinée, dont la chaise en plastique mise sur le marché au milieu du XXe siècle est une des figures. Cet univers se situe tout de même à mille lieues de la charge symbolique de Kcymaerxthaere.
« J’espère que Charles et Ray auraient aimé ce que je fais, confie le dernier Eames de la famille. Si j’ai quelque chose d’eux, ce serait l’esprit inventif. »
L’art Demetrios a plutôt à voir avec l’imaginaire d’un J. R. R. Tolkien, voire d’un James Joyce pour la complexité narrative et langagière.
Lui-même se dit redevable des tragédiens grecs ou encore, plus près de nous, du Polonais Ryszard Kapuściński. « Son écriture est à la fois réaliste et magique », résume-t-il.
Kcymaerxthaere possède sa propre langue. Le titre se lirait ainsi : la vérité d’un univers aux dimensions presque infinies.
Le chapitre montréalais, intitulé « Cosmologies intimes », et bilingue dans un pur esprit local, a sa part de vocabulaire incompréhensible. On tombe sur des termes tel que gwome ou Wendaentz, qui signifient, dans l’ordre, « empreinte de la nation» et «ceux qui savent anticiper qu’ils auront plus d’un amour véritable ».
Dans le pays nommé Wendaentz, il est question d’amours multiples et de clans qui mettent sur le marché sentiments et désirs.
Eames Demetrios ne s’attend pas à ce que l’on fasse la totalité de ce voyage mystique et utopique. Mais il suppose que celui qui lira une plaque aura la curiosité d’en découvrir d’autres.
Sachez que chaque morceau du cassetête est unique. Il y a les « signets » (les plaques) et les sites historiques, installations souvent monumentales. On en trouve en milieu urbain, dans le désert, sous l’eau et un jour, peut-être, sur la Lune.
Comme les inscriptions se font dans le parler local, celle de Montréal y va de sa petite contribution. Elle est la première en français, qui devient la 24e langue de ce projet au nom imprononçable.