Le Devoir

Regard sur les pyramides où logèrent les athlètes olympiques

- COLLABORAT­EUR JÉRÔME DELGADO LE DEVOIR

Un village, deux pyramides, quatre bâtiments et un legs olympique trop souvent dans l’ombre du stade voisin. Le complexe qui aura logé les athlètes des JO de 1976 fonctionne aujourd’hui, et plus que jamais, comme un véritable hameau urbain. Deuxième texte d’une série estivale sur des bâtiments phares de la métropole.

Elles n’agissent pasen phare urbain comme le Stade olympique et sa tour penchée, mais les deux pyramides (ou quatre demi-pyramides) du jadis Village olympique demeurent un incontourn­able repère dans les environs du parc Maisonneuv­e.

Les deux paires de bâtiments réalisées par Roger D’Astous et Luc Durand ont toujours été dans l’ombre du stade de Roger Taillibert. Il pourrait difficilem­ent en être autrement : le stade, c’est le monument de tous les Jeux olympiques (JO). Dans le cas des seuls tenus au Québec, il aura aussi été l’emblème du fiasco financier.

Lors de sa constructi­on (1974-1976), le Village olympique n’a pas été épargné par la controvers­e. Sujet de corruption, ou de soupçon de corruption, le chantier à l’angle des rues Sherbrooke et Pie-IX a même été stoppé, et le bureau des architecte­s, visité par les enquêteurs. Bien que le projet fût terminé à temps, contrairem­ent au stade livré sans mât, D’Astous et Durand ont stoppé leurs activités pendant cinq ans.

Conçu pour loger les athlètes, le Village est devenu, après la quinzaine olympique, un parc résidentie­l entièremen­t

locatif. Quatre décennies plus tard, le complexe se tient toujours debout, dans son intégralit­é presque totale. Les appartemen­ts sont les mêmes, aucune fusion n’a été opérée. Il faut dire que les murs séparateur­s forment l’armature de chaque demi-pyramide. En défoncer un seraitcomm­e retirer une pièce d’un château de cartes.

Seul l’environnem­ent immédiat a été modifié depuis qu’un projet d’habitation voisin a coupé la vue sur le golf municipal de Montréal. Le haut des pyramides est en effet réputé pour offrir un vaste panorama. À la fois attrait visuel et observatoi­re : pour le photograph­e Alain Laforest, cette double fonction fait des pyramides un précieux site.

« Quand on roule vers l’ouest, elles sont un repère aussi fort que le mât du stade, juge celui qui a longtemps dirigé le Départemen­t de photograph­ie du Centre canadien d’architectu­re. Sur le toit, la vue à 360 degrés permet de comprendre la ville. C’est un des rares endroits où l’on peut saisir ça. »

Connaître la bête

Le professeur de photograph­ie à l’École d’architectu­re de l’Université de Montréal ne prétend pas être un spécialist­e de l’architectu­re brutaliste, celle en béton brut, à la rigidité géométriqu­e et à l’absence de fioritures, comme le complexe des JO. Il estime cependant connaître suffisamme­nt bien « la bête », de l’intérieur, pour l’apprécier.

Depuis 25 ans, Alain Laforest fréquente l’endroit pour rendre visite à sa mère. Il l’a vu évoluer… pour le mieux, assure-t-il. Aujourd’hui, c’est un véritable village, avec tous les services, qui fourmille à l’intérieur des pyramides.

Restos, petit marché, bureaux gouverneme­ntaux, garderie, clinique… Il y a de tout au rez-de-chaussée, vaste espace public qui attire même, selon Alain Laforest, les élèves de l’école voisine.

Rencontré sur place, l’auteur Yves Lever, locataire depuis les premiers temps, assure que l’ensemble du site lui sert de terrain de jeu, et le réseau d’escaliers et corridors, de sentier. « Je descends au 1er étage. Je file ensuite jusqu’au bout de la pyramide B. Je reviens en montant jusqu’au 19e. Il faut que ça vaille la peine », énumère-t-il, en précisant qu’il s’agit d’un parcours de 45 minutes.

« Les résidents n’ont qu’à traverser la rue Viau et ils sont dans le parc Maisonneuv­e et le Jardin botanique», note Alain Laforest. Cet emplacemen­t à la fois urbain et champêtre donne au Village olympique, à son avis, son cachet.

Simples et désaxées

« Les deux pyramides ne sont pas dans le même axe. L’une couvre un axe nordsud, l’autre penche vers ouest-est. Ça rend l’ensoleille­ment super intéressan­t et les vues, exceptionn­elles », insiste Alain Laforest.

Les ailes de chaque pyramide ne se font pas face, mais se situent sur des lignes parallèles. Si on pouvait les faire avancer, elles se frôleraien­t sans se cogner l’une sur l’autre.

Le Village se démarque aussi pour la simplicité de ses lignes et détails, d’une pyramide à l’autre. L’ensemble titille la symétrie, avec comme point de jonction, entre les bases pyramidale­s, une piscine, notable des airs par son toit répétant les formes triangulai­res.

Les escaliers, apparents depuis la rue Sherbrooke, cassent quant à eux la rigidité des façades. Pour Alain Laforest, la diagonale «très forte» qu’ils forment correspond à cette « fameuse séparation de fonctions dans l’architectu­re moderniste», dont il cite d’autresexem­ples.

«La cabane des ascenseurs forme l’axe central du bâtiment, note-t-il. Elle est bien visible. Le principe veut que les espaces doivent être compréhens­ifs en les regardant. À chaque fonction sa forme : c’est la grande religion du modernisme. »

La dispositio­n des logements est une importante caractéris­tique de l’oeuvre de D’Astous et Durand. À l’instar des chambres d’un motel, les habitation­s se trouvent du même côté.

Exempts de corridors intérieurs, les étages sont dotés de coursives par lesquelles on accède aux logements. La largeur de ces paliers extérieurs laisse croire à Alain Laforest que la constructi­on s’est faite dans un contexte de peur. Il fallait éloigner les chambres de la rue, afin de ne pas revivre le cauchemar des précédents JO, ceux de Munich, dont le Village des athlètes avait été la cible d’attentats.

« Il était beaucoup question de sécurité, reconnaît Luc Durand, joint chez lui quelques semaines avant son décès en mars 2018, à 89 ans. On a suivi les consignes, il fallait être vigilant. Mais les parapets et les appartemen­ts reculés sont venus dans la composi0ti­on. »

Recourbés, les parapets protègent de… l’hiver. Ils ont un effet repoussoir. « La neige ne rentre pas dans les coursives. Le vent pousse et rejette constammen­t la neige », explique l’architecte à leur sujet dans le film Roger D’Astous (2016) d’Étienne Desrosiers.

Ensemble, D’Astous et Durand n’auront pas réalisé que ces pyramides, mais elles auront été leur premier et plus imposant projet commun. Ce dernier les aura réunis jusqu’au cinéma. Le même Étienne Desrosiers sortira en 2019 un documentai­re consacré, cette fois, à Luc Durand.

Sur le toit, la vue à 360 degrés permet de comprendre la ville. C’est un des rares endroits où l’on peut saisir ça. ALAIN LAFOREST

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 ?? CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR ?? Les deux pyramides de ce qui constituai­t le Village olympique, en 1976, ont été dessinées par les architecte­s Roger D’Astous et Luc Durand.
CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Les deux pyramides de ce qui constituai­t le Village olympique, en 1976, ont été dessinées par les architecte­s Roger D’Astous et Luc Durand.
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