Le Devoir

Une « farce électorale » destinée à plébiscite­r Hun Sen

- SUY SE AIDAN JONES À PHNOM PENH

Les législativ­es de dimanche au Cambodge sont dénoncées comme une «farce» par l’opposition, dissoute, ses dirigeants emprisonné­s ou exilés, et le régime met en garde contre tout « chaos » contestata­ire visant à « détruire » ce plébiscite attendu de Hun Sen, au pouvoir depuis plus de trente ans.

Appelant à la « résistance passive », Sam Rainsy, fondateur du principal parti d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), dissous fin 2017, demande à ses partisans de « boycotter, pour ne pas participer à cette farce électorale », dans un entretien à l’AFP à Paris, où il s’est exilé pour échapper à la prison.

Les électeurs avaient voté en masse pour son parti lors des législativ­es de 2013, prenant le régime de Hun Sen de court.

À l’époque, l’atmosphère était à une certaine ouverture. Le CNRP de M. Rainsy, porté notamment par le vote des jeunes électeurs, avait raflé 55 sièges de députés sur un total de 123 et même organisé de grandes manifestat­ions dénonçant les fraudes électorale­s mises en place par le régime pour minimiser sa défaite.

Cette année, l’atmosphère a bien changé : le suppléant de Sam Rainsy à la tête du CNRP, Kem Sokha, est emprisonné, accusé d’avoir tenté de renverser le régime avec le soutien de Washington.

Hun Sen dénonce depuis des mois toute velléité de «révolution de couleur », brandissan­t la menace d’une ère de chaos dans ce pays encore traumatisé par le régime khmer rouge, coupable d’un génocide ayant fait près de deux millions de morts dans les années 1970.

La police est prête à « empêcher tout acte de terrorisme et de chaos politique », a mis en garde jeudi Chuon Sovann, chef de la police de Phnom Penh, lors d’un exercice impression­nant, avec plus de 4600 membres des forces de l’ordre, armés de fusils et de gilets pareballes, dans le centre de la capitale.

Il s’agit d’« empêcher les activités de l’opposition et de leurs alliés, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, qui tentent de détruire l’élection », a-t-il insisté.

Le régime donne des signes de nervosité, alors même qu’il contrôle toutes les couches du pouvoir et que les opposants sont exilés ou emprisonné­s, mobilisant plus de 80 000 policiers dimanche.

Il a pourtant le soutien affiché de la Chine, qui envoie ses «observateu­rs internatio­naux », alors que Washington et Bruxelles ont annulé toute aide à l’organisati­on du scrutin après la dissolutio­n du CNRP.

Peur et intimidati­on

« La présence de policiers armés autour des bureaux de vote ajoute à l’atmosphère de peur et d’intimidati­on », critique Chak Sopheap, directrice du Centre cambodgien des droits de l’homme.

Dans le collimateu­r du régime se trouve une campagne appelant les électeurs à conserver leur « doigt propre » (« clean finger ») en ne votant pas et en ne trempant donc pas leur doigt dans l’encre prévue à cet effet.

Rares sont ceux qui osent souscrire à l’appel au boycottage à visage découvert. « Je n’irai pas voter, ma famille non plus », témoigne l’un d’eux, Touch Teara. « Mais le peuple n’ose pas manifester, il n’y a plus de meneurs », ajoute-t-il, sans illusions.

Hun Sen multiplie les effets d’annonces pour séduire jeunes et ouvriers du textile, deux soutiens clés de l’opposition en 2013.

Même aux échelons locaux, les élus CNRP ont été systématiq­uement remplacés. Dans la commune de Kakab II, banlieue populaire de Phnom Penh, Kem Chan Vannak, 39 ans, n’aura finalement pu exercer son mandat de maire que quelques mois. « Le peuple nous a choisis, ils ont voté pour quelque chose de nouveau et c’est l’inverse qui s’est produit », dit-il à l’AFP.

Il a été remplacé par Maly Piseth du parti CPP au pouvoir, pour qui Hun Sen « est un bon dirigeant, sympathiqu­e avec les gens, voulant régler leurs problèmes ».

Hun Sen mobilise même ses fils, dont l’un est député, pour s’afficher à la tête de rassemblem­ents où ses partisans sont tous vêtus de casquettes blanches et de T-shirts du CPP. Vendredi, dernier jour officiel de la campagne, un grand rassemblem­ent du CPP est prévu à Phnom Penh.

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Hun Sen, au pouvoir au Cambodge depuis plus de trente ans

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