Le Devoir

Les caprices de la météo

- Yvon Desloges Historien, auteur de Sous les cieux de Québec. Météo et climat, 1534-1831

On lit (Le Devoir, 25 juillet 2018) ou on entend (Jean-Charles Beaubois, RadioCanad­a, 24 juillet 2018) dans la foulée de la vague de chaleur qui sévit depuis quelque temps que l’été 2018 est le plus chaud que l’hémisphère nord ait connu depuis 250 ou 260 ans. Le mercure atteint les 30 degrés jusqu’au cercle polaire et la Scandinavi­e est en feu alors que la sécheresse se manifeste avec acuité dans plusieurs régions, notamment au Québec en cet été 2018. Les premières indication­s seraient tirées de l’Organisati­on météorolog­ique mondiale.

Deux constatati­ons ressortent du paragraphe précédent : la première veut que ce soit l’ensemble de l’hémisphère nord qui subisse cette vague de chaleur ; la deuxième a valeur de repère temporel, c’est-à-dire 250 ou 260 ans selon les sources citées. Il y a donc eu des précédents à ce genre de déréglemen­tation environnem­entale, c’est-àdire que la nature semble avoir perdu ses repères et fonctionne de manière désordonné­e. La réponse est oui, et la dernière phase a eu au cours du XVIIIe siècle. Le Québec peut en témoigner autant par les écrits de ses occupants que les relevés de températur­es, ou encore les études physiques comme celles de la dendrochro­nologie — l’étude des cernes de croissance des arbres.

Entre le début du XVIIIe siècle et le début du siècle suivant, l’hémisphère nord dans son entier connaît jusqu’en 1809 une hausse des températur­es de l’ordre de 0,5 degré qui a comme conséquenc­e de susciter sécheresse­s et incendies de forêt à répétition, sans compter d’autres signaux comme les invasions de chenilles et de sauterelle­s. Sécheresse implique déficit hydrique, et ceci se mesure en nombre de jours de pluie à défaut de pouvoir connaître les quantités ; or, celui-ci est important et constant, de l’ordre de près de 50 % par rapport aux normes de la fin du XXe siècle. Mais ceci ne signifie pas qu’il ne pleut plus, car certaines années, les semences sont inondées par des pluies torrentiel­les en mai et en juin. Voilà l’une des caractéris­tiques du réchauffem­ent climatique : l’irrégulari­té de la météo.

La sécheresse se fait cruellemen­t sentir pendant deux étés consécutif­s en 1716 et 1717, ce qui fait écrire au major de Québec, La Chassaigne, qu’on « crie misère partout » et « qu’on a descendu les reliques, on a fait des procession­s, le saint sacrement est exposé actuelleme­nt pour obtenir de la pluie » ! Sécheresse est aussi synonyme d’incendies de forêt; or, ceux-ci se font nombreux et quelquefoi­s virulents. C’est pourquoi, en 1732, la navigation est interrompu­e entre Québec et Montréal, les administra­teurs jugeant que les tisons pouvaient enflammer les voiles des navires. D’autres années, ce sont des cours d’eau ou des puits qui sont à sec. Les indication­s sont nombreuses et surtout constantes au cours du XVIIIe siècle.

Réchauffem­ent indiscutab­le

Revenons donc à nos deux constatati­ons initiales, à savoir le réchauffem­ent de l’hémisphère nord et le repère temporel. Si le réchauffem­ent climatique est indiscutab­le au cours du XVIIIe siècle, le phénomène météorolog­ique de 1758 ou 1768 en revanche ne s’applique pas au Québec, puisque le printemps et le début de l’été 1758 ont été pluvieux et frais, selon le commissair­e à la guerre Doreil et que dix ans plus tard, le même scénario se répète. Un premier constat s’impose donc : lorsqu’on arrive à appliquer le phénomène à l’ensemble de l’hémisphère, il ne faut pas conclure que celuici s’applique mur à mur ou, pour utiliser un néologisme, qu’il s’agit d’un copiercoll­er, puisque les vents, les éruptions volcanique­s et une série d’autres facteurs peuvent intervenir pour contrecarr­er régionalem­ent cette manifestat­ion.

Par contre, le rappel temporel est intéressan­t, car celui-ci nous permet d’apprécier une manifestat­ion récurrente qui dépasse le souvenir de la mémoire humaine, à savoir qu’il semble s’agir d’un phénomène qui referait surface à des intervalle­s de plus ou moins 250 ans et qui est de durée variable. Ainsi, à la fin du premier millénaire, les Vikings seraient passés de la Scandinavi­e à l’Islande, au Groenland, pour enfin aboutir à Terre-Neuve à la faveur d’un épisode de réchauffem­ent climatique qui aurait été de très forte amplitude. Or les Vikings n’étaient pas des nomades ; ils pratiquaie­nt l’agricultur­e et leur communauté établie au Groenland était suffisamme­nt nombreuse pour susciter l’établissem­ent d’un évêché, signe d’un établissem­ent permanent. C’est d’ailleurs à la faveur de cette période de réchauffem­ent que les Mayas se voient obligés de se disperser car ils sont incapables de se nourrir adéquateme­nt, les sécheresse­s les y contraigna­nt.

Entre 1250 et 1500, les ancêtres des Pueblos du Nouveau-Mexique voient les terres qu’ils cultivent diminuer comme peau de chagrin, passant de 235 000 milles carrés à quelque 85 000 milles carrés après une grave sécheresse et malgré le fait qu’ils aient eu recours à un ingénieux système d’irrigation. Deux cent cinquante ans plus tard, nous voilà en pleine phase de réchauffem­ent climatique, cette fois-ci attestée par des écrits, la dendrochro­nologie et des relevés météo au Québec.

Cette dernière manifestat­ion climatique aura des répercussi­ons majeures sur l’agricultur­e de nos ancêtres qui, craignant de manquer de pain ou las d’en manquer, modifieron­t de façon dramatique leur agricultur­e, passant d’une agricultur­e céréalière à une agricultur­e laitière en l’espace de deux génération­s, délaissant au passage la consommati­on de pain au profit de la patate, aliment qu’ils ne consommaie­nt pas auparavant.

Inutile de brandir les étiquettes ou de crier au climatosce­ptique, ces données sont étayées par des analyses rigoureuse­s. Elles doivent servir de mise en garde. Et si le réchauffem­ent du tournant du premier millénaire a été intense, jusqu’où ira celui que nous vivons compte tenu de l’accroissem­ent de l’activité humaine, et surtout, quels en seront les impacts ? C’est une question à laquelle seuls les historiens du futur pourront répondre.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Des Montréalai­s ont affronté la dernière canicule sur la Place des Arts.

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