Représentation du viol en littérature : pour dire quoi ?
Le Devoir nous apprenait jeudi que la nouvelle directrice de la revue XYZ démissionnait, « refusant de cautionner un texte du prochain numéro dont la chute raconte une scène d’agression sexuelle ». Son geste nous invite à interroger la représentation du viol en littérature. Il ne s’agit pas de censurer tout texte mettant en scène un viol ou une agression sexuelle : c’est plutôt l’usage du motif qui doit être remis en question. Au service de quoi la représentation du viol est-elle mise ?
L’éditeur de la revue soutient que « la nouvelle est très bonne, très efficace, elle est menée avec finesse, l’intrigue se tient». Qu’elle puisse engendrer des souffrances est secondaire. C’est bien de cet aveuglement que l’on parle lorsqu’on évoque la banalisation du viol. L’intrigue se tient peut-être — et cela n’est guère étonnant : combien d’oeuvres sont-elles en effet construites à partir de ce topo ? —, mais elle repose sur l’usage des femmes comme chair à violer. C’est sur ça qu’on doit se questionner, sur l’« utilité » de ce motif. Quel discours sert-il ? Si ce n’est qu’amusement, que démonstration d’une maîtrise des codes littéraires, on fait fi des douleurs que cette représentation de la violence peut engendrer. On ne remet pas en question les coûts de cette représentation.
Bref, c’est là un bel exemple du point de vue androcentré qui n’interroge pas l’altérité, mais qui en use, qui s’en sert comme dispositif pour déployer son propre regard, ignorant le réel de l’expérience, ici les agressions sexuelles vécues par des femmes, les reléguant à l’anecdote. Il faudra retourner lire le chapitre « Politique sexuelle » de Kate Millett dans La politique du mâle : elle y démontre que ces représentations ne servent souvent qu’à assurer, valoriser et pérenniser la position dominante de celui qui viole. Ce à quoi on pourrait ajouter qu’elles servent aussi parfois à entretenir la posture d’un écrivain…
On balaiera tout ça au prétexte que «c’est idéologique». Or, ce n’est pas tant idéologique qu’éthique, c’est bien ce qu’il va falloir finir par comprendre, mesurer, considérer. Un peu comme le
black face : ce n’est que pour ceux et celles qui ne sont pas concernés que c’est un amusement. La représentation du viol, lorsqu’elle est gratuite, n’est pas sans effet chez les lectrices, a fortiori chez celles qui ont déjà été violées ; elle engendre des réminiscences et des souffrances, c’est aussi à ça qu’il faut penser. J’insiste sur la gratuité. Il y a évocation de viols dans nombre d’oeuvres, il ne s’agit pas de tout disqualifier. Prenons Les fées ont soif, de Denise Boucher. Le contexte dans lequel le viol s’inscrit lui confère une signification qui, loin d’être anodine, participe à une dénonciation de la violence faite aux femmes.
Finalement, la question à se poser est : qu’est-ce qu’on veut signifier quand on représente un viol ? Si c’est une simple distraction (comme cela semble être le cas ici), alors il vaut peut-être mieux en faire l’économie. « Time’s Up. »