Le Devoir

Coupable. Mais de quoi ?

Quand les soupçons autour d’un homme banal agissent sur les autres comme un poison dans Une part d’ombre

- COLLABORAT­EUR ANDRÉ LAVOIE LE DEVOIR

On compare souvent les rumeurs à un poison, voile toxique sur l’image de gens que l’on croyait jusque-là irréprocha­bles. Si cela concerne bien sûr les victimes, il en va de même pour l’entourage, et c’est là que se distingue l’homme de théâtre belge Samuel Tilman dans son premier long métrage de fiction, Une part d’ombre.

Il y a un parfum de « faux coupable » qui plane sur ce thriller psychologi­que rarement haletant, reposant surtout sur un dérapage progressif et contrôlé d’une situation initiale à la fois anodine et idyllique. Car David (Fabrizio Rongione) semble tout à la fois un père exemplaire et un époux modèle (doublé d’un amant fringant, comme en témoigne la première scène du film dans un sombre cabanon, à la fois révélatric­e et trompeuse) aux côtés de Julie (Natacha Régnier). À leur retour en Belgique, après des vacances réussies en France avec un groupe d’amis, l’annonce de l’assassinat d’une femme qui se trouvait là-bas lors de leur passage surprend toute la bande.

La surprise cède peu à peu la place au soupçon, car David, amateur de course à pied, change de statut : de témoin (il aurait parlé à la victime qui cherchait son chemin), il devient le principal suspect, mais prêt à tout pour défendre son innocence. Au départ, sa famille et ses amis veulent le croire, mais l’enquête force à un déballage de sa vie privée qui égratigne forcément son image de respectabi­lité — surtout lorsqu’il s’agit de ses infidélité­s, qui plus est en Pologne lors de voyages avec ses étudiants.

Samuel Tilman s’attarde beaucoup à la dynamique festive qui prévaut lors de leurs soirées bien arrosées, ou même pendant des réunions, puisque plusieurs d’entre eux enseignent au même collège. Une fracture s’opère bien sûr dans le regard qu’ils posent sur David, mais cela réveille aussi leurs propres angoisses — ont-ils été floués par un beau parleur, et leur propre conjoint aurait-il été complice, surtout en ce qui concerne ses incartades sexuelles ?

La caméra traque minutieuse­ment les faits et gestes de Fabrizio Rongione, depuis longtemps un habitué du cinéma des frères Dardenne, qui a gagné du galon auprès de Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit, toujours d’une grande assurance, sans donner dans l’esbroufe. À ses côtés, Natacha Régnier demeure cantonnée dans le rôle de la femme trahie, tandis que l’entourage semble davantage intéresser le cinéaste, qui les observe tel un entomologi­ste.

C’est ce parti pris qui fait la singularit­é d’Une part d’ombre, élargissan­t les effets du désordre à tout un groupe que l’on croyait soudé pour la vie, plongé dans une véritable torpeur causée par la résurgence de secrets que l’on aurait mieux aimé garder enfouis. À l’évolution psychologi­que de ce supposé faux coupable loin d’être blanc comme neige se superpose un malaise indicible qui n’épargne personne. Et comme en témoigne une finale pleine d’ambiguïtés, le silence peut aussi se révéler une arme cruelle, qui se retourne parfois contre ceux qui l’utilisent.

Une part d’ombre

Thriller de Samuel Tilman. Avec Fabrizio Rongione, Natacha Régnier, Baptiste Lalieu, Myriem Akheddiou, BelgiqueFr­ance-Suisse, 2017, 94 minutes.

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PHOTOS AXIA FILMS La surprise cède peu à peu la place au soupçon, car David (Fabrizio Rongione), amateur de course à pied, change de statut : de témoin, il devient le principal suspect, mais prêt à tout pour défendre son innocence.
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