Le Devoir

Ötzi, un migrant de 5000 ans parmi tant d’autres

«L’homme des glaces» migrait vers le nord par un passage emprunté depuis pas moins de 7000 ans

- PASCAL LAPOINTE

Il traversait à pied une région des Alpes orientales, à 3200 mètres d’altitude. Il avait manifestem­ent prévu de marcher un bout de temps encore, à en juger par le contenu de son estomac, tel qu’il serait révélé par l’autopsie: l’homme d’environ 45 ans avait été mortelleme­nt blessé au dos par un objet contondant, une heure seulement après avoir pris son dernier repas.

À ce jour, l’identité et l’origine du cadavre vieux de 5000 ans restent inconnues. Ses maigres possession­s et son ADN laissent la porte ouverte à plusieurs possibilit­és, mais une chose est sûre: comme quantité de migrants avant et après lui, il suivait grosso modo un parcours allant du sud au nord, dont les archéologu­es ont établi qu’il est utilisé par les voyageurs de passage depuis pas moins de 7000 ans.

Pourquoi a-t-il été tué ? Par qui ? Bien que la science ait fait des pas de géant depuis la découverte de son corps dans un glacier en septembre 1991, il est possible que ces questions restent à jamais sans réponse. Sa dépouille repose aujourd’hui au Musée d’archéologi­e du Sud-Tyrol à Bolzano, dans le nord-ouest de l’Italie, et Ötzi, ou « l’homme des glaces », comme on l’appelle, est devenu une célébrité. Cruelle ironie dans l’Italie qui a élu cette année un parti d’extrême droite faroucheme­nt opposé aux migrations.

Ötzi est aussi devenu une vedette des plus lucratives pour la ville : à la mi-juillet, la file d’attente était longue pour voir l’exposition… et jeter un coup d’oeil à son corps à travers une petite vitre donnant sur une salle réfrigérée. Le Musée a été créé spécialeme­nt pour Ötzi, après une brève dispute sur le pays qui devrait en avoir la garde.

On sait peu de choses des groupes qui habitaient les Alpes orientales à son époque, mais on sait que bien peu y habitaient depuis longtemps, et bien peu y resteraien­t pour très longtemps. Ces groupes n’étaient pas encore des Celtes, qui seraient remplacés par les Étrusques, qui seraient supplantés par les Romains, qui verraient arriver les Ostrogoths et ainsi de suite, dans de périodique­s déplacemen­ts doublés de jeux politiques. Au point où l’Italie, telle qu’on la définit aujourd’hui, n’apparaîtra­it comme État qu’en 1861. Et la région dont fait partie Bolzano, appelée Sud-Tyrol ou HautAdige, a continué de faire partie de l’Autriche jusqu’en 1919, et a acquis une autonomie en 1946 lui garantissa­nt un statut bilingue (italien et allemand).

Ötzi était-il un «étranger» à cette montagne qui a vu sa fin, comme pourraient le suggérer les taux de strontium et de plomb laissés dans ses os par son alimentati­on des 20 années précédente­s ? Ou était-il un personnage important d’un clan local, comme pourrait le suggérer sa hache en cuivre, matériau rare et précieux à son époque ? Le Musée laisse aussi cette question en suspens. Mais « il avait beaucoup voyagé » : le strontium et le plomb, les fibres de ses vêtements rapiécés, l’état de ses genoux, quatre traces de différents sangs sur ses flèches, deux types de cuir, bovin et mouton, dans ses chaussures, des pollens d’un environnem­ent forestier dans ses vêtements et dans les pochettes attachées à sa ceinture…

Quant à son ADN, il révèle des lignées paternelle­s et maternelle­s arrivées en Europe depuis le Proche-Orient pendant « les migrations du Néolithiqu­e », il y a 8000 ans. Soit avant d’autres migrations venues du Proche-Orient et qui, elles, avaient commencé, à l’époque de notre homme des glaces, à apporter l’agricultur­e dans le sud de l’Europe.

Si Ötzi, momifié, a survécu jusqu’à nous, c’est parce qu’il a été rapidement emprisonné dans le glacier après son décès, mais surtout à cause d’un bouleverse­ment beaucoup plus grand que toutes ces vagues migratoire­s : c’est-àdire le réchauffem­ent climatique, qui dépasse en ampleur tous les hauts et les bas du climat des 5000 dernières années, qui est en train de faire fondre les glaciers des Alpes et qui a mis au jour ce corps en septembre 1991.

 ?? ANDREA SOLERO AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le cadavre, découvert dans les Alpes italiennes en 1991, est maintenant exposé au Musée d’archéologi­e du Sud-Tyrol, à Bolzano.
ANDREA SOLERO AGENCE FRANCE-PRESSE Le cadavre, découvert dans les Alpes italiennes en 1991, est maintenant exposé au Musée d’archéologi­e du Sud-Tyrol, à Bolzano.

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