Le Devoir

La résonance d’un profond malaise social

- Myrlande Pierre

Irrémédiab­lement, les épisodes SLĀV et Kanata obligent la société québécoise à se regarder et à faire une introspect­ion afin de rendre possible un véritable dialogue. Du moins, c’est ce qui serait collective­ment bénéfique et constructi­f pour comprendre ce profond malaise social. La première lecture qu’il nous est permis de faire est sans équivoque le constat de la sous-représenta­tion et de l’invisibili­sation des minorités ethniques et racisées et des Autochtone­s dans les lieux où s’exerce le contrôle de la production, de la diffusion et de l’utilisatio­n des savoirs. Ce problème est décrié depuis près de deux décennies. Il suffit de faire une revue des revendicat­ions traduites dans des mémoires, des avis et plusieurs études pour se rendre compte qu’il ne s’agit pas là de revendicat­ions nouvelles au Québec.

Déjà, en 1999, une analyse de la situation amenait le Conseil des relations intercultu­relles du Québec à publier des recommanda­tions pour favoriser une meilleure connaissan­ce de la situation des artistes des groupes ethnocultu­rels et un accès plus équitable aux mécanismes de financemen­t public mis à la dispositio­n des artistes. De plus, le Conseil suggérait d’ores et déjà des moyens pour améliorer la représenta­tivité des membres de ces groupes minoritair­es dans les instances consacrées à la culture. Le nombre effarant d’avis et de mémoires ainsi que les revendicat­ions issues de la société civile dénonçant des situations d’inégalité structurel­le dans le domaine de la culture en disent beaucoup sur un problème longtemps décrié. Le phénomène de la sous-représenta­tion de la diversité — et plus particuliè­rement des minorités racisées — est malheureus­ement observable et exacerbé dans plusieurs autres secteurs : politique, économique, de l’emploi, dans les lieux stratégiqu­es de décision et de pouvoir, etc. Le problème est à ce point cristallis­é que cela prendrait un sérieux coup de barre et un changement de paradigme pour sortir de l’impasse et en changer la dynamique.

La deuxième lecture qu’il nous est permis de faire de ces épisodes qui secouent une bonne partie de la société québécoise est celle des rapports de domination qui structuren­t encore aujourd’hui la dynamique sociale. Selon Alain Touraine, trois types d’actions sont attribuabl­es à la classe dominante ou dirigeante : « la gestion de l’accumulati­on, l’appropriat­ion du mode de connaissan­ce et l’imposition du modèle culturel ». Assistons-nous peu à peu à l’éclatement de ce modèle culturel qui tend à dicter les orientatio­ns et la représenta­tion de ce que devrait être l’universel ? La société et la culture ne sont pas des entités statiques. Elles se déploient, évoluent et se transforme­nt au contact des apports culturels divers. Comme les personnes humaines, les cultures n’existent qu’en relation les unes avec les autres (UNESCO 2009b : 9). Cette relation, si on la souhaite équitable et dépourvue de tout rapport de domination, ne peut se construire que par une dialectiqu­e de l’altérité où l’un et l’autre se rencontren­t et s’enrichisse­nt mutuelleme­nt.

Les défis que posent la diversité ethnocultu­relle croissante dans la société québécoise et la présence des Premières Nations sont corollaire­s d’une mouvance intrinsèqu­e, historique, symbolique et identitair­e qui nous oblige à mieux (re)penser les enjeux du vivre-ensemble. Ce qu’il nous faut retenir de ces épisodes, c’est que le narratif qui sert à raconter le passé, le présent et le futur ne peut plus être désincarné d’une réciprocit­é et de la reconnaiss­ance de l’existence de l’autre en tant qu’acteur social. Cette perspectiv­e conduit inlassable­ment à parler de citoyennet­é. Or, la citoyennet­é ne se restreint pas au principe de la légitimité politique, elle est également la source du lien social qui renforce l’idée d’une vision commune de la société. Une société où hommes et femmes d’origines diverses peuvent participer en toute légitimité et de manière juste et équitable à la définition de ses fondements.

Ultimement, le retour à la conception de citoyennet­é pour repenser les relations intercultu­relles, les inégalités et la lutte contre la discrimina­tion et le racisme serait-il la voie à privilégie­r pour sortir de l’impasse ? Une citoyennet­é qui serait non pas dictée par une conception jacobine, mais par une réelle prise en compte des facteurs qui compromett­ent le plein exercice de celle-ci.

Newspapers in French

Newspapers from Canada