Le Devoir

Les paysages de la Côte-Nord dans le cinéma d’ici |

La Côte-Nord, vaste territoire de forêts et de rivières, a encore tant d’histoires à raconter

- ANDRÉ LAVOIE

On a souvent reproché au cinéma québécois d’être éminemment… montréalai­s. Or, plusieurs cinéastes n’hésitent pas à prendre la clé des champs, tandis que d’autres font le choix de s’enraciner un peu partout sur le territoire. Le Devoir vous fait découvrir cet été les charmes et les secrets de sept régions du Québec, chacune exprimant un pan légendaire, singulier ou méconnu du cinéma d’ici. Aujourd’hui, les espaces infinis de la Côte-Nord, longtemps terreau fertile du documentai­re. « Cette région-là est d’une beauté époustoufl­ante ; il y a des paysages peu importe où l’on regarde. Même dans le stationnem­ent du Walmart de Sept-Îles, on a une vue imprenable sur la baie : c’est certaineme­nt le plus beau stationnem­ent de Walmart du Québec!» lance, enthousias­te, la cinéaste Myriam Verreault (À l’ouest de Pluton, 2008, coréalisé par Henry Bernadet). Non, aucun chauvinism­e dans ses propos puisqu’elle est originaire de la banlieue de Québec. Elle fait seulement partie d’un groupe de cinéastes qui explorent depuis des décennies cet immense territoire de 236664 km2, où l’on comptait 91546 habitants en 2017, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec.

Cet enthousias­me est partagé par Michel Coulombe, chroniqueu­r cinéma à la radio et à la télévision de Radio-Canada. « Avec ses 1300 km de côtes, ses archipels, l’île d’Anticosti, ses rivières puissantes et ses lacs à l’infini, [la Côte-Nord] est forcément cinématogr­aphique », constate le coauteur du Dictionnai­re du cinéma québécois, natif de Sept-Îles. Il déplore toutefois que la région soit « en partie méconnue », peu fréquentée par les Québécois, et souligne la chaleur de l’accueil : « Le fait de te déplacer pour visiter la Côte-Nord, les gens l’apprécient. »

Tadoussac, porte d’entrée

Le hasard fait parfois bien les choses, et ce fut le cas pour Martin Laroche (Les manèges humains, 2012), qui a décidé de poser sa caméra en plein hiver dans ce qui représente la porte d’entrée de la Côte-Nord : Tadoussac. Après une enfance passée dans le Centre-du-Québec, à Victoriavi­lle, et plus tard en Estrie, à Rock Forest, le réalisateu­r a passé trois étés, et un hiver, dans ce coin exceptionn­el, mais «bipolaire», comme le qualifie le personnage incarné par Isabelle Blais dans le bien nommé Tadoussac (2017). « L’été, avec les touristes, c’est la folie furieuse, et l’hiver, c’est mort ! » constate Laroche, précisant qu’il a malgré tout aimé « cet univers complèteme­nt différent, plus intimiste », qui l’a incité à tourner en pleine saison froide pour servir son propos.

Et les paysages enchanteur­s? «Le danger, c’était de s’y perdre, et le défi fut de se concentrer le plus souvent possible sur les deux personnage­s féminins : on sacrifiait la beauté des lieux pour rester sur elles. »

Michel Coulombe salue l’audace de Martin Laroche (« Il a pris l’envers de la carte postale »), en profitant pour souligner à quel point Tadoussac apparaît trompeuse pour ceux qui connaissen­t bien la Côte-Nord. «Tadoussac, c’est comme la porte d’une maison, ou dire que l’on a visité Montréal en se rendant qu’à Pointe-aux-Trembles.» Cela témoigne aussi de la diversité des paysages, de leur immensité, alors que certains villages côtiers ne sont toujours pas reliés par la route — la 138 va maintenant jusqu’à Natashquan et Kegaska, mais Blanc-Sablon attend toujours —, tandis que certaines villes minières, loin du littoral, ne constituen­t pas forcément des attraction­s touristiqu­es. Mais leur destin a suscité l’intérêt des cinéastes, comme ce fut le cas pour le sort réservé à Scheffervi­lle dans les années 1980 (Le dernier glacier, 1984, de Jacques Leduc et de Roger Frappier).

Les images de la région furent tout de même rares pendant longtemps. Michel Coulombe se rappelle un souvenir de jeunesse, son étonnement devant le premier film qui lui tendait enfin un miroir (Les bacheliers de la cinquième, 1962, de Clément Perron et de François Séguillon), et qui mettait en vedette « un monument », Gilles Vigneault. C’était surtout à une époque de sa vie « où il y avait un vrai déficit d’images, avec les nouvelles de Radio-Canada qui nous informaien­t que de ce qui se passait à Cap-Chat ou à Rivière-au-Renard [deux municipali­tés de la Gaspésie], mais jamais de Sept-Îles, et des documentai­res filmés partout sauf sur la Côte-Nord ».

Les Innus, vedettes de cinéma

Plusieurs documentar­istes vont corriger cette situation : Pierre Perrault (Le goût de la farine, 1977 ; Le pays de la terre sans arbre ou le Mouchouâni­pi, 1980), Bernard Gosselin, comme directeur photo mais aussi cinéaste (L’Anticoste, 1986), et avant eux, dans les années 1930, Paul Provencher, un pionnier dont la démarche fut mise en lumière par Jean-Claude Labrecque dans Le dernier des coureurs des bois (1979). Mais, de l’avis général, personne ne rivalise avec Arthur Lamothe, dont les nombreux films sur cette région et sur les Autochtone­s (La neige a fondu sur la Manicouaga­n, 1965 ; Mémoire battante, 1983; La conquête de l’Amérique, 1990-1991) témoignent, selon Michel Coulombe, « de sa fidélité, de sa constance, dont à l’égard des Montagnais, la colonne vertébrale de son oeuvre ».

Myriam Verreault est tout aussi fascinée par la culture innue, découverte à la faveur du tournage de son webdocumen­taire Ma tribu c’est ma vie (2011), à Maliotenam, près de Sept-Îles. C’est là qu’a jailli, selon ses mots, « l’étincelle », l’envie de faire un film dont la démarche pourrait ressembler à celle d’À l’ouest de Pluton, « soit travailler avec des gens qui habitent ce lieu et écrire des histoires avec eux ». Ses recherches et ses lectures l’ont menée à Kuessipan (Mémoire d’encrier, 2011), roman dans lequel Naomi Fontaine évoque la réalité innue d’aujourd’hui, et à demander à l’auteure de collaborer à l’écriture de son long métrage de fiction, dont le tournage a été complété en mai dernier. La sortie est prévue au cours de l’année 2019.

Plusieurs séjours sur la Côte-Nord au cours des dernières années ont fait de Myriam Verreault une ambassadri­ce informelle de la région, et des Innus. « Les Innus de Sept-Îles s’expriment encore dans leur langue, ce que j’ignorais et qui me fascine. La Côte-Nord, c’est leur territoire, et connaître les Innus, c’est connaître ce territoire, mais aussi la faune et la flore : tout cela est parfaiteme­nt intégré à leur culture. » Et peu importe qu’elle croise Blancs ou Autochtone­s, Myriam Verreault s’émerveille de cet esprit des habitants de la Côte-Nord : « Les gens aiment leur région, tous ont un lien avec la chasse et la pêche, et on s’y sent bien accueilli : ça donne du monde pas mal moins stressé ! »

Même dans le stationnem­ent du Walmart de Sept-Îles, on a une vue imprenable sur la baie : c’est certaineme­nt le plus beau stationnem­ent de Walmart du Québec ! MYRIAM VERREAULT

 ?? K-FILMS AMÉRIQUE ?? Tadoussac est un coin exceptionn­el, mais « bipolaire:l’été,avec les touristes, c’est la folie furieuse, et l’hiver, c’est mort ! » soutient Martin Laroche, réalisateu­r du film Tadoussac (photo), sorti en 2017. Laroche a passé trois étés et un hiver dans cette ville de la Côte-Nord.
K-FILMS AMÉRIQUE Tadoussac est un coin exceptionn­el, mais « bipolaire:l’été,avec les touristes, c’est la folie furieuse, et l’hiver, c’est mort ! » soutient Martin Laroche, réalisateu­r du film Tadoussac (photo), sorti en 2017. Laroche a passé trois étés et un hiver dans cette ville de la Côte-Nord.

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