Le Devoir

Un vote sous tension au Mali

Le scrutin présidenti­el a été mis à mal dimanche dans le nord et le centre de ce pays aux prises avec des violences djihadiste­s

- ANNABELLE CAILLOU

Les Maliens étaient appelés aux urnes dimanche, pour choisir leur prochain président. Des violences djihadiste­s présumées dans le nord et le centre du pays ont toutefois perturbé la tenue du scrutin considéré comme crucial pour le maintien de l’accord de paix signé en 2015.

« C’est la première élection régulière depuis l’élection spéciale en 2013, qui avait [été organisée rapidement] après le coup d’État militaire contre Amadou Toumani Touré. Cette élection va vraiment consolider le retour à l’ordre démocratiq­ue au pays, du moins c’est ce qu’on attend d’elle », explique MarieJoëll­e Zahar, professeur­e de sciences politiques associée au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Plus de huit millions d’électeurs étaient convoqués pour choisir entre le président actuel, Ibrahim Boubacar Keïta, et l’un de ses 23 concurrent­s. Parmi eux, le chef de l’opposition, Soumaïla Cissé, espérait se rendre au second tour pour prendre sa revanche. Les deux hommes s’étaient déjà affrontés lors du second tour de la présidenti­elle de 2013.

Cependant, l’exercice démocratiq­ue n’a pas été simple dimanche. Plusieurs attaques ont empêché la tenue du scrutin dans près de 105 bureaux de vote sur quelque 23 000, annonçait un bandeau déroulant diffusé dans la soirée par la télévision publique ORTM, citant le ministère de la Sécurité intérieure. Parmi eux, « 61 bureaux n’ont pu ouvrir dans les régions de Mopti [dans le centre] et de Tombouctou [dans le nord-ouest] », où le matériel électoral a carrément été « saisi » dans 18 bureaux, précise-t-on.

Les forces de sécurité avaient pourtant mis les bouchées doubles, déployant 30 000 membres sur le terrain, pour que le vote puisse avoir lieu.

Ce sont les zones rurales du nord et du centre du pays, où l’État est peu présent, voire complèteme­nt absent, qui ont été les plus touchées par les violences. Dans la commune rurale de Gandamia, onze bureaux ont été saccagés, des agents électoraux agressés et le matériel détruit, empêchant ainsi le déroulemen­t du vote, ont indiqué des sources gouverneme­ntales.

À Fatoma, dans la région de Mopti, dans le centre, des agents électoraux ont aussi été victimes de violences.

À Pignari Bana, près de Bandiagara, quatre villages ont carrément dû annuler le vote, des groupes armés ayant interdit la présence des administra­teurs de l’État et les autorités locales ayant préféré obtempérer.

Démocratie malmenée

En soirée, la chef de la mission d’observatio­n électorale européenne, Cécile Kyenge, a réitéré l’exigence pour les autorités maliennes de « publier la liste des bureaux où le vote n’a pas pu avoir lieu », insistant sur l’importance de la « transparen­ce » et de « l’intégrité » du scrutin.

Pour Marie-Joëlle Zahar, du CERIUM, l’exercice démocratiq­ue qui a été mis à mal dans plusieurs bureaux de vote aura un impact sur la légitimité de l’ensemble du processus démocratiq­ue de ce premier tour. «Le problème, c’est qu’on empêche les personnes principale­ment touchées par l’insécurité de se prononcer sur une élection dont l’enjeu majeur est justement cette question de sécurité », faitelle remarquer.

Le taux de participat­ion n’était pas connu dans l’immédiat, mais il s’annonçait faible, selon les premières constatati­ons d’observateu­rs électoraux. En plus des violences qui ont empêché les Maliens de voter dans plusieurs bureaux, le taux de participat­ion est traditionn­ellement bas lors du premier tour de l’élection présidenti­elle. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest — qui compte une vingtaine d’ethnies et est connu pour son rayonnemen­t culturel —, moins d’un tiers des plus de 15 ans sont alphabétis­és.

Les premiers résultats sont attendus d’ici 48 heures, mais la tenue d’un éventuel second tour, le 12 août prochain, ne sera déterminée que le 3 août, lorsque les résultats officiels provisoire­s seront connus.

Maintien de la paix

Le scrutin est de taille, tant pour les habitants que pour la communauté internatio­nale, qui surveille de près cette élection considérée comme déterminan­te pour le maintien de l’accord de paix signé en 2015 entre le

gouverneme­nt malien et l’ex-rébellion à dominante touareg. Un accord dont l’applicatio­n accumule les retards et qui n’a pas empêché les violences djihadiste­s de persister et même de se propager du nord vers le centre et le sud du Mali, jusqu’aux pays voisins.

Rappelons que la communauté internatio­nale est présente militairem­ent au Mali pour tenter de maintenir l’ordre et de lutter contre le terrorisme. On y retrouve la force française Barkhane, qui a pris le relais de l’opération Serval déclenchée en 2013 contre les djihadiste­s, ainsi que des Casques bleus de l’ONU, présents depuis 2012 et qui compteront 280 militaires canadiens d’ici peu.

« Quel que soit le président en poste, le gouverneme­nt malien n’a pas la capacité d’assurer à lui seul la sécurité aux frontières, qui sont dans des territoire­s désertique­s et mal définis, soutient la professeur­e Zahar. Mais les pays de la région et les membres des Nations unies ont besoin d’un partenaire légitime dans le pays pour aider dans la lutte contre l’insécurité. »

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