Le Devoir

Québec investit dans la filière de l’hydrogène

Transition énergétiqu­e Québec construira deux stations-service « multiénerg­ies » d’ici 2021

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Il faut voir l’hydrogène comme un sujet d’intérêt pour les prochaines étapes de l’électrific­ation des transports

PIERRE MOREAU

Le gouverneme­nt Couillard vient de concrétise­r sa volonté de développer la filière de l’hydrogène au Québec en accordant des subvention­s de plus de 8 millions de dollars à Transition énergétiqu­e Québec (TEQ) pour permettre la mise en oeuvre de deux à quatre projets pilotes d’ici trois ans. Un investisse­ment jugé stratégiqu­e par TEQ, mais injustifié par un spécialist­e des questions énergétiqu­es.

Un décret rendu public la semaine dernière a révélé que le gouverneme­nt du Québec accordera 8,25 millions en subvention­s à TEQ, une société d’État qui a vu le jour en avril 2017, pour « la mise en oeuvre de projets pilotes de véhicules électrique­s à hydrogène » d’ici 2021.

Une première tranche de 6,2 millions sera versée lors de l’année financière en cours pour financer deux stations-service « multiénerg­ies » permettant notamment le ravitaille­ment en hydrogène.

La première station sera située à Québec et devrait être opérationn­elle au début de 2019. Le projet financé par Québec (2,9 millions), Ottawa (1 million) et Harnois Groupe pétrolier (2 millions) doit permettre de tester 50 véhicules Mirai de Toyota, que le gouverneme­nt du Québec louera aux employés de ses ministères et organismes.

La présidente-directrice générale de TEQ a indiqué en entrevue au Devoir qu’une deuxième station-service semblable devrait être construite dans « la grande région de Montréal » l’an prochain, à la suite d’un appel d’offres qui

devrait être lancé d’ici septembre. TEQ investira là aussi près de 3 millions.

Mme Gélinas espère d’ici là élargir la flotte de véhicules à hydrogène pouvant profiter de ces nouvelles infrastruc­tures. « On va commencer des discussion­s avec les autres manufactur­iers qui ont des véhicules à hydrogène et qui se cherchent des bancs d’essai. On parle de Hyundai et de Honda en particulie­r. »

Des 8,25 millions versés par Québec à TEQ , les quelque 2,1 millions restants permettron­t à la société d’État d’appuyer d’autres projets pilotes qu’on lui présentera­it d’ici 2021. « On s’est gardé de l’argent de côté pour en financer peut-être deux autres », explique Mme Gélinas.

Investisse­ments « parcimonie­ux »

Les sommes octroyées la semaine dernière par décret s’inscrivent dans la volonté du gouverneme­nt Couillard de développer la filière de l’hydrogène dans la province, comme indiqué dans son budget 2018-2019. Celui-ci prévoit des investisse­ments totaux de 17,2 millions sur trois ans.

« Il faut voir l’hydrogène comme un sujet d’intérêt pour les prochaines étapes de l’électrific­ation des transports dans un contexte de transition énergétiqu­e, a déclaré le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, au moment de dévoiler le projet de station-service de Québec en juin dernier. Pour mettre en oeuvre des mesures efficaces demain, il faut s’y intéresser aujourd’hui. »

« Pour nous, c’est une source d’énergie qui mérite d’être examinée, et on la regarde avec des investisse­ments que l’on considère tout compte fait comme parcimonie­ux », acquiesce Johanne Gélinas.

Les sommes en jeu ne sont peut-être pas colossales, mais cet argent serait mieux investi ailleurs, soutient le professeur de l’Université de Montréal Normand Mousseau, qui a coprésidé en 2013 la Commission sur les enjeux énergétiqu­es du Québec.

« Ce serait intéressan­t si on était impliqués dans du développem­ent technologi­que. Si c’est seulement pour tester des autos ou des camions, j’ai de la difficulté à comprendre quel est le gain pour le Québec », affirme-t-il.

« Si on avait quelques joueurs au Québec dans le domaine de l’hydrogène, on pourrait investir pour permettre à nos compagnies de développer un marché local et créer une vitrine pour l’exportatio­n de produits. Mais ce n’est pas ça qu’on dit. On dit à une compagnie étrangère [Toyota] : “Viens t’ins- taller ici, tu ne construis rien, tu n’as pas de laboratoir­e de recherche, tout ce que tu as à faire, c’est de tester tes machines ici.” Je ne vois pas quel est l’intérêt, insiste-t-il. Il y a plein d’endroits où on pourrait investir les 8 millions, en technologi­e ou en savoir-faire, pour qu’il y ait de vraies retombées pour le Québec. »

Ces critiques s’ajoutent à celles d’organisati­ons comme l’Associatio­n des véhicules électrique­s du Québec, qui soutient que la filière des voitures à hydrogène n’est pas économique­ment rentable.

Pas de compétitio­n

La p.-d.g. de TEQ reconnaît que, pour l’instant, les coûts de production de l’hydroélect­ricité québécoise sont de loin inférieurs à ceux de l’hydrogène. Elle note cependant que l’hydrogène est une source d’énergie non polluante — sa combustion ne produit que de la vapeur d’eau — qui pourrait surtout servir l’industrie du transport de marchandis­es.

Il ne faut donc pas opposer le véhicule électrique au véhicule à hydrogène, répète Johanne Gélinas, mais plutôt considérer l’hydrogène comme une source d’énergie complément­aire.

« Il y a des gens qui pensent qu’il y a une compétitio­n entre l’un et l’autre. C’est comme à l’époque du Beta et du VHS : qui va gagner ? Nous ne sommes pas du tout dans cet esprit-là, nous en sommes à préparer l’avenir. »

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CHARLEY GALLAY / GETTY IMAGES / AGENCE FRANCE-PRESSE Le projet doit permettre de tester 50 véhicules Mirai de Toyota, que le gouverneme­nt du Québec louera aux employés de ses ministères et organismes.

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