Nicolas Cage est plongé en plein cauchemar halluciné dans Mandy, de Panos Cosmatos
Le cinéaste Panos Cosmatos plonge Nicolas Cage en plein cauchemar halluciné dans Mandy, présenté à Fantasia
Vers la fin du premier acte du film Mandy, une jeune femme déclare, hébétée : « Tout ça n’est qu’un rêve, un très beau rêve. » C’est plus ou moins vrai. En cela que si ces paroles s’appliquent à ce qui a précédé, soit le quotidien sylvestre d’un couple très amoureux, la suite relève davantage du cauchemar. Il y est question d’une secte et de son gourou illuminé, et surtout de l’homme qui entend se venger de celui-ci après le meurtre de son aimée : Mandy. D’où le titre du second film de Panos Cosmatos, présenté à Fantasia mercredi avant sa sortie très attendue en salle et en vidéo à la demande le 14 septembre. Entretien avec un cinéaste doué pour infuser l’art cinématographique d’une dimension chimérique.
« J’ai conçu le scénario de Mandy en même temps que celui de mon premier film, Beyond the Black Rainbow. J’ai tourné celui-là d’abord pour des raisons budgétaires », précise au sujet de ses débuts largement autofinancés le cinéaste, joint chez lui à Vancouver juste avant son arrivée à Fantasia.
Il faut savoir à ce propos que Panos Cosmatos est le fils de George P. Cosmatos (1941-2005), réalisateur des favoris kitsch Rambo II et Cobra, avec Sylvester Stallone, mais aussi du formidable western Tombstone. C’est en utilisant ses redevances pour ce dernier film que Panos Cosmatos a réussi à produire
Beyond the Black Rainbow, dont les fulgurances insolites ont l’heur de séduire et qui forme avec Mandy un diptyque.
Films de transe
Pour mémoire, cette production de 2009 met en scène une jeune femme, Elena, dotée de pouvoirs psychiques, qui s’affranchit du laboratoire souterrain où la garde prisonnière depuis l’enfance un scientifique psychopathe.
Mandy, avec Nicolas Cage en figure de proue sanguinolente, reprend plusieurs de ces motifs et affiche une manière similaire, à savoir une volonté de faire évoluer le récit dans un univers onirique où le réel ne perce qu’occasionnellement la surface, moments de lucidité passagère.
« C’est une partie intégrante de mon processus créatif, explique Panos Cosmatos. J’essaie de placer le spectateur dans une sorte d’état hypnotique. J’appelle ça des “films de transe”. Apocalypse Now serait le film de transe par excellence, à titre d’exemple. »
Afin d’induire ledit état auprès du public, Panos Cosmatos recourt à différentes techniques, telles que des zooms très lents grâce auxquels on pénètre les psychés tordues des personnages, voire la direction d’acteurs, qui voit ceux-ci livrer leurs lignes avec une ferveur décalée, stylisée.
Toutefois, c’est principalement par l’entremise de son travail extrêmement stylisé sur l’environnement et surtout la couleur que le cinéaste frappe l’imaginaire. «J’adore explorer différentes avenues chromatiques ; certaines couleurs suscitent certaines émotions. Pour moi, ça va un peu de soi. S’en priver équivaudrait à cuisiner en minimisant le plus possible les saveurs. »
Apparente dichotomie
Or, l’un des aspects qui saisissent le plus avec ces deux longs métrages, c’est l’apparente dichotomie formelle qui les caractérise. En cela qu’on y retrouve à la fois, et volontiers de façon simultanée, une charge viscérale brute et une sophistication esthétique concertée.
« C’est pas mal la définition la plus juste qu’on peut faire de mon travail », dit Panos Cosmatos, qui comptait réa- liser un triptyque mais qui estime désormais ce projet-là terminé.
« Je crois l’avoir déjà dit ailleurs, mais pour moi, Beyond the Black Rainbow, c’est comme une inspiration, tandis que Mandy, c’est comme une expiration. Maintenant que j’y pense… C’est une double sensibilité que je tiens probablement de mes parents. Mon père était d’origine grecque et italienne, et ma mère était suédoise : probablement les deux types de tempérament les plus contraires imaginables. »
L’exubérance méditerranéenne et la mesure du lagom fusionnent. C’est perceptible dans la conception même des films, le premier campé en majorité dans les dédales de locaux aseptisés, avec fugue ultime en forêt, et le second basé à l’inverse en pleine nature, avec incursion à la fin dans l’antre souterrain d’un complexe inquiétant.
Belle étrangeté
Pour le compte, tant Elena dans
Beyond the Black Rainbow que Red dans Mandy sont des « Alice » s’aventurant dans le terrier du lapin blanc, leurs odyssées respectives s’avérant par contre plus riches de monstres que de merveilles.
Outre qu’ils sont liés par leurs thèmes et leur forme, les deux films se déroulent en 1983. Nostalgique, Panos Cosmatos ?
« Sans pratiquer l’approche référentielle très à la mode en horreur, je remplis mes films de tout ce que j’aimais enfant : le cinéma d’épouvante de toutes les époques, la littérature de fantasy …»
Le personnage de Mandy est en l’occurrence une illustratrice dans ce domaine précis. Quant à la quête de Red, c’est celle d’un guerrier: en lieu et place d’un monde ancien de magie et de sorcellerie, une relative modernité où des drogues hallucinogènes nourrissent des croyances occultes.
« J’ai des goûts étranges, confesse Panos Cosmatos en éclatant de rire au terme de l’entrevue. Mais c’est ce qui me vient à l’esprit. C’est ce qui me plaît. »
Qu’il se rassure : au cinéma, l’étrangeté est une qualité.