Le Devoir

Dispendieu­ses et peu fiables

L’impression d’armes en 3D ne séduira pas les criminels et les terroriste­s, croit Ottawa

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Alors que les États-Unis débattent de la pertinence de rendre accessible­s aux particulie­rs les codes permettant d’imprimer des armes à feu en trois dimensions, le Canada rappelle qu’il est interdit ici de se fabriquer des pistolets ou des mitraillet­tes maison.

Il est en effet illégal de fabriquer une arme à feu au Canada, par quelque méthode que ce soit, sans détenir le permis d’entreprise prévu à la Loi sur les armes à feu. Toute personne qui s’adonne à cette activité, « même sans contrepart­ie », est passible d’une peine d’emprisonne­ment maximale de 10 ans, la peine minimale étant de trois ans, cinq ans en cas de récidive. Et que fait le gouverneme­nt pour prévenir cette activité ?

« Les responsabl­es gouverneme­ntaux surveillen­t étroitemen­t les développem­ents en ce qui concerne l’impression 3D d’armes à feu », indique Scott Bardsley, porte-parole du ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale.

Peut-on penser que les autorités surveillen­t ceux qui télécharge­nt les devis d’impression de ces armes ?

« On ne discute pas des opérations de collecte d’informatio­n », se borne à répondre M. Bardsley, qui précise néanmoins que rien dans le Code criminel « n’interdit le télécharge­ment ou la possession de plans pour l’impression 3D d’armes à feu ».

Songe-t-on à l’interdire à l’avenir ? « Bien que le gouverneme­nt n’ait pas pour l’instant proposé de changement à cet égard, nous écoutons attentivem­ent les conseils des experts à propos des menaces émergentes et des façons d’y répondre. »

« Intraçable­s et indétectab­les »

Aux États-Unis, la bataille à propos des armes à feu imprimées fait rage depuis 2013. À cette époque, l’entreprise Defense Distribute­d met en ligne les codes pour imprimer en 3D le pistolet Liberator. Les autorités le lui interdisen­t au nom des règles sur le commerce internatio­nal des armes (voir texte ci-contre).

Le fondateur du groupe, Cody Wilson, réplique en 2015 par une poursuite judiciaire et, en juin dernier, le gouverneme­nt américain capitule en signant une entente à l’amiable lui accordant le droit de diffuser des devis et lui remboursan­t même une partie de ses frais de justice.

Les procureurs généraux de neuf États tentent maintenant de bloquer cette entente au motif qu’elle fournira aux « criminels et aux terroriste­s » des armes « intraçable­s et indétectab­les ».

Les armes à feu imprimées sont-elles à ce point fiables que le milieu interlope s’en saisira ? « Oui et non », répond Francis Langlois, spécialist­e des armes à feu et professeur au Cégep de Trois-Rivières rattaché à la Chaire Raoul-Dandurand.

« Oui, ça fonctionne. On peut tirer un projectile avec ça. Le Liberator peut tirer jusqu’à quatre cartouches de suite. Si on l’imprime avec du bon plastique. »

Tout le défi est là. Mettre la main sur le devis d’impression ne garantit pas un résultat sans faille. Il y a différente­s qualités d’imprimante et de plastique. L’impression en soi requiert du savoir- faire. L’utilisateu­r doit bien assembler les pièces. « L’arme risque d’exploser au visage de l’utilisateu­r si le plastique n’est pas bon ou si c’est mal fait », rappelle M. Langlois.

Peu fiable... pour l’instant

Le gouverneme­nt canadien semble s’accrocher à cet espoir pour l’instant. Le porte-parole du ministre Goodale souligne que les armes à feu imprimées « coûtent extrêmemen­t cher à produire et ont tendance à défaillir à cause de leur porosité ». Les terroriste­s et criminels veulent de la fiabilité et s’en remettront à leur réseau habituel pour obtenir leurs armes.

Francis Langlois est d’accord avec lui… pour l’instant. Surtout qu’il minimise « l’indétectab­ilité » de ces armes en plastique : les munitions, elles, demeureron­t en métal.

Pour ces raisons, il prédit que ce sont surtout des particulie­rs qui poseront problème dans un premier temps. Des hommes à qui on a refusé une arme pour cause de violence conjugale contourner­ont ainsi l’interdit. Des enfants mettront par inadvertan­ce la main sur l’arme en plastique, qui ressemble à un jouet…

Mais d’ici quelques années, avance-til, les prix de la technologi­e d’impression 3D vont chuter et la qualité augmentera. « La prochaine étape, c’est l’imprimante à métal. »

Au Service de police de la Ville de Montréal, on indique que les armes imprimées en trois dimensions ne sont pas sur leur écran radar. « Ce n’est pas une problémati­que avec laquelle on vit, indique le porte-parole Ian Lafrenière. Cela ne nous a pas été rapporté. »

Oui, ça fonctionne. On peut tirer un projectile avec ça. Le Liberator peut tirer jusqu’à quatre cartouches de suite. Si on l’imprime avec du bon plastique.

FRANCIS LANGLOIS

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MATTHEW DALY ASSOCIATED PRESS Opposés à la permission accordée à l’entreprise Defense Distribute­d de mettre en ligne les codes pour l’impression d’armes en plastique, les sénateurs démocrates Edward Markey et Richard Blumenthal ont présenté une photo d’une telle arme mardi au...

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