Le Devoir

Non à l’exportatio­n de l’eau du Québec

- André Bouthillie­r Cofondateu­r de la Coalition québécoise pour une gestion responsabl­e de l’eau – Eau Secours !

Dans les pages du Devoir du 26 juillet dernier, le professeur à la retraite Marcel Boyer relançait, avec

« Partager l’eau, pour l’éthique et le

commerce », un débat que je croyais clos depuis les années 1990. Revenons-y. Il y a tellement d’eau en notre pays. Pouvons-nous la partager, devenir de richissime­s « princes de l’eau » comme on dit « princes du pétrole », et appliquer des règles de précaution environnem­entale pour assurer notre survie ?

L’ONU nous apprend qu’une trentaine de pays manquent d’eau dans le monde. Ce sont des pays où l’eau est exploitée à plus de 50 % de ses réserves. Parmi ceuxci, les onze suivants utilisent leurs réserves presque à 100 % : Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Gaza, Israël, Jordanie, Koweït, Libye, Malte et Qatar. Aucun de ces pays ne demande au Canada de lui vendre ou donner son eau. Bien sûr, les États-Unis d’Amérique, eux, en demandent. Devrions-nous ouvrir les vannes de la compassion et permettre que l’eau exportée arrose des terrains de golf surgis du désert entourant Las Vegas, ou qu’elle soutienne l’expansion de la ville de Phoenix, construite en plein désert et qui consomme des quantités phénoménal­es d’eau, ou encourager les industriel­s de l’agroalimen­taire installés dans les déserts de l’Arizona qui s’affairent à vider leur plus grande nappe phréatique, l’Ogallala, par de la culture intensive? Et tout cela en sachant que les États-Unis font partie, avec le Brésil, la Colombie, l’ex-Zaïre, l’Inde, etc., des neuf pays les mieux nantis quant à l’eau sur leur territoire…

La trentaine de pays manque d’eau à cause de précipitat­ions peu abondantes et de pratiques hygiénique­s déficitair­es qui engendrent la pollution et réduisent la disponibil­ité de l’eau de qualité. Souvent, ce n’est pas le manque d’eau, mais la façon de l’utiliser et l’insuffisan­ce d’équipement­s collectifs pour la distribuer qui posent problème. De plus, devrions-nous partager avec des pays qui laissent les industries multinatio­nales drainer impunément les nappes phréatique­s ou qui refusent de taxer leurs riches afin de doter leur pays des infrastruc­tures nécessaire­s au partage de l’eau avec l’ensemble de leur population ?

Au Canada, toutes les possibilit­és commercial­es ont été étudiées. Mahmoudd Abou-Zeïd, ministre égyptien de l’époque, en réponse à l’offre de promoteurs canadiens, soulignait que les coûts de transport de l’eau par bateau seraient prohibitif­s en comparaiso­n des coûts de désalinisa­tion de l’eau de mer, soit deux à trois fois plus cher. Notre ministère de l’Industrie et du Commerce croit que le seul avantage pour le Québec résiderait en des retombées économique­s associées à la constructi­on ou à la réfection de bateaux. Même aux États-Unis, où l’on retrouve environ la moitié des 11 000 usines de désalinisa­tion du monde, la solution du transport de l’eau en vrac est de moins en moins concurrent­ielle.

Notre enrichisse­ment passeraiti­l par l’exportatio­n de l’eau embouteill­ée ? Tiens ! Il faudrait le demander à Naya, entreprise québécoise, mise en faillite technique entre autres par les pratiques commercial­es états-uniennes de CocaCola. Plusieurs multinatio­nales développen­t maintenant le marché de l’eau d’aqueduc mise en bouteille et enrichie de minéraux, ce qui évite l’importatio­n de l’eau du Canada, économisan­t ainsi des coûts de transport énormes. Nous pourrions tenter de percer le marché de l’eau embouteill­ée dite « haut de gamme ». […]

Au mieux pourrait-on accueillir et subvention­ner des multinatio­nales étrangères qui créeraient ici quelques emplois, comme on l’a fait pour la compagnie Parmalat, installée à Saint-Mathieu-d’Harricana en Abitibi et qui a changé souvent de propriétai­re, et qui, avec ses compétiteu­rs, a payé à peine 150 000$ de redevances annuelles au Québec, ce qui ne couvre même pas le coût de la facturatio­n. Il s’agit ici d’une presque gratuité pour extraire de l’eau de notre territoire. Avant de nous enrichir, voyons à ne pas nous appauvrir. Pour ce faire, évitons la prise de contrôle de l’eau québécoise par des sociétés étrangères.

À première vue, il semble que seule l’exportatio­n de l’eau par canalisati­on à partir des Grands Lacs vers les États-Unis jouisse d’un seuil de rentabilit­é potentiel. Il y aurait certaineme­nt création d’emplois temporaire­s en Ontario et au Michigan pour la constructi­on des canalisati­ons. Cependant, la demande états-unienne dépasse annuelleme­nt le débit du fleuve Saint-Laurent ; pouvons-nous nous priver de cette masse d’eau ? Non, explique la Commission mixte internatio­nale (Canada–États-Unis), c’est trop dangereux, car il n’y a jamais de « surplus » d’eau dans le réseau des Grands Lacs. Avec les changement­s climatique­s en cours, le niveau des eaux baisse, et cela doit nous inciter à faire preuve de prudence dans la gestion de l’eau, afin de préserver cette ressource pour les génération­s futures.

Exporter de l’eau et mettre en péril la santé écosystémi­que de nos bassins hydrologiq­ues, pour encourager ceux qui défient systématiq­uement les lois du développem­ent durable ?

Je réponds non.

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