Le Devoir

L’impasse de la militarisa­tion

- GUY TAILLEFER

Classe politique et communauté internatio­nale se sont réjouies que le Mali ait réussi à tenir dimanche le premier tour de sa présidenti­elle sans violences ni empêchemen­t majeur. On peut difficilem­ent leur reprocher d’avoir poussé un soupir de soulagemen­t, vu le pouvoir de nuisance dont disposent toujours les groupes djihadiste­s dans le centre et le nord du pays. Pour autant, ce processus électoral (le deuxième tour aura lieu le 12 août, si nécessaire) fera malheureus­ement assez peu sur le fond pour stabiliser le pays, asseoir la transition démocratiq­ue fondée sur l’accord de paix de 2015 entre le camp gouverneme­ntal et l’exrébellio­n sécessionn­iste des Touaregs et, par extension, pour calmer le jeu à l’échelle de la grande région sahélienne.

Dans l’immédiat, le premier tour accomplit objectivem­ent peu dans la mesure où le scrutin a été le plus perturbé dans la région de Mopti, au centre, là où les tensions intercommu­nautaires et la violence terroriste sont les plus grandes (près de 300 civils tués depuis le début de l’année). Dimanche, le vote n’a pu se tenir dans plus de 700 bureaux, situés essentiell­ement aux alentours de Mopti, pour cause « d’attaques à main armée et autres violences ». Or, l’État malien et la classe politique tapie à Bamako ne peuvent prétendre ni à des élections vraiment inclusives ni à un pays apaisé tant que les conflits qui troublent cette région et débordent sur les pays voisins n’auront pas été durablemen­t désamorcés.

La communauté internatio­nale attendait beaucoup de l’élection à l’été 2013 du président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK. La menace des groupes djihadiste­s reculait grâce à l’interventi­on militaire française Serval — plus tard rebaptisée Barkhane —, tandis qu’un dialogue fécond se dessinait avec les rebelles touaregs. Cinq ans plus tard, le Mali n’est guère plus près de la paix malgré le déploiemen­t d’une dizaine de milliers de Casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisat­ion au Mali (MINUSMA), le maintien de la présence française et la création, en 2016, de la force collective du G5 Sahel, réunissant les cinq pays les plus directemen­t menacés par les groupes djihadiste­s (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Mali et Tchad). La nébuleuse des radicaux islamistes, dont les dénominati­ons varient au gré des mouvances et des alliances, s’est reconstitu­ée, prenant en partie le relais de la rébellion touareg.

Il n’est pas rassurant, dans ces conditions, que IBK, qui se représente à la présidence, n’ait rien trouvé de mieux à faire ces dernières semaines que de réduire les causes de l’insécurité à « des poches de violence, des résidus de terrorisme ».

Son ratage — ou son inefficaci­té — est largement celui des grandes puissances installées au chevet du Mali. L’empreinte militaire étrangère, surtout américaine et française, s’est élargie en Afrique de l’Ouest, et plus particuliè­rement au Sahel, présenté comme la nouvelle frontière du « djihad mondial ». Le Mali et le Niger sont devenus les épicentres de l’approche sécuritair­e des Occidentau­x et leur présence militaire — faut-il s’en étonner ? — rencontre de plus en plus d’objections dans la population.

Dans un contexte où le centre et le nord du Mali sont marginalis­és à tous points de vue par le pouvoir central, la militarisa­tion de ces régions ne fait que mettre en évidence de manière extrêmemen­t choquante l’absence de l’état de droit — l’absence de justice, d’infrastruc­tures et de services de base, de politiques d’intégratio­n et de lutte contre la pauvreté. Un terrain fertile pour les groupes armés de tous bords, s’agissant d’exploiter à leurs fins les dynamiques locales et les doléances à l’égard de gouverneme­nts sans grande légitimité. Avec le résultat que la « guerre au terrorisme » revient, sous le couvert de processus électoraux, à soutenir un peu trop souvent des régimes plutôt corrompus pour lesquels la pratique démocratiq­ue se résume au clientélis­me.

Après maintes tergiversa­tions, Ottawa s’est modestemen­t joint à la dangereuse mission de paix onusienne au Mali. Qu’il en aille de ses responsabi­lités auprès de l’ONU, on le conçoit. Contre l’engrenage de la militarisa­tion, on voudrait cependant voir des pays comme le Canada s’investir de façon autrement plus dynamique dans des efforts de prévention et de résolution des conflits, comme il est plus facile de prendre les armes que de s’attaquer sur le long terme aux enjeux de développem­ent.

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