Le Devoir

L’argent, le nerf de la démocratie

Quelques propositio­ns pour améliorer le financemen­t politique

- Marc-André Bodet Professeur agrégé en science politique de l’Université Laval

Lorsque vient le temps de réfléchir aux améliorati­ons pouvant être apportées aux institutio­ns politiques québécoise­s, c’est presque toujours les mêmes propositio­ns qui occupent l’espace public. On revient en effet immanquabl­ement à la réforme du mode de scrutin, aux initiative­s populaires et aux quotas de représenta­tion. Bien que ces éléments méritent amplement qu’on s’y attarde, il se trouve que les démarches entreprise­s pour s’y attaquer s’avèrent infructueu­ses. Il faut peut-être réfléchir autrement pour espérer progresser.

Contrairem­ent au palier fédéral qui a aboli des pans entiers du financemen­t public dirigé vers les partis politiques, le Québec a consolidé la place prépondéra­nte de l’État dans notre vie politique avec la réforme de 2013. Mais beaucoup reste à faire pour améliorer les choses et corriger des lacunes du régime actuel.

Un premier bouquet de réformes consistera­it à ajuster la Loi québécoise sur le financemen­t politique pour y modifier certains paramètres et y ajouter des incitatifs. Il faudrait d’abord hausser le plafond des contributi­ons individuel­les. On pourrait facilement doubler les montants permis pour faire passer à 200 $ en année ordinaire et 400 $ en année électorale les dons individuel­s. Ces montants seraient toujours suffisamme­nt limités pour empêcher la création d’inégalités entre les donateurs et les autres dans l’élaboratio­n des politiques publiques, mais cela redonnerai­t au financemen­t populaire un élan nécessaire pour une vie démocratiq­ue saine. On pourrait en contrepart­ie diminuer quelque peu la très généreuse contributi­on publique aux partis représenté­s à l’Assemblée nationale et ainsi créer un équilibre entre les deux sources de financemen­t.

D’autres ajustement­s y seraient greffés. On devrait tripler plutôt que doubler ces montants pour les partis politiques sans représenta­tion à l’Assemblée nationale. Nous sommes actuelleme­nt dans une logique de partis de cartel qui bénéficie injustemen­t aux quatre joueurs principaux au Québec, au détriment d’autres partis sans représenta­tion qui peinent à financer leurs activités. Ce n’est effectivem­ent pas à coups de 100 $ que l’on construit une machine électorale capable d’affronter les joueurs établis. Le financemen­t populaire servirait ici de levier à ces nouveaux (ou plus petits) partis en attendant le financemen­t public tiré d’une représenta­tion à l’Assemblée.

Registre des donateurs

On devrait également éliminer le registre public des donateurs. L’anonymisat­ion des dons (c’était le cas avant pour les faibles montants) éliminerai­t un frein important pour certains électeurs craignant les conséquenc­es sociales ou profession­nelles de la publicisat­ion de leurs dons partisans. Il est déjà difficile pour les partis de convaincre les citoyens d’apporter leur contributi­on. Cessons d’y mettre des barrières additionne­lles, inutiles au demeurant. Cela n’empêcherai­t évidemment pas Élections Québec de conserver une liste confidenti­elle des donateurs et de maintenir sa base de données à des fins de vérificati­on.

Le deuxième bouquet de réformes s’attaquerai­t à la question de la parité dans la représenta­tion. Le financemen­t public des partis politiques devrait en effet être ajusté en fonction des objectifs de représenta­tion. Des pénalités financière­s conséquent­es seraient alors imposées aux partis qui n’atteignent pas un seuil clairement établi (disons 40 % de femmes). Les pénalités iraient en augmentant à mesure que la compositio­n du caucus dudit parti s’éloignerai­t des proportion­s visées, jusqu’à un plancher de financemen­t.

En liant le financemen­t public des partis à la parité de représenta­tion entre hommes et femmes, on créerait un incitatif puissant pour corriger les disparités actuelles, sans toutefois perdre les avantages de la décentrali­sation du processus de sélection des candidatur­es si chère à certains partis. Chacun pourrait imaginer ses propres mécanismes à l’interne (quotas, investitur­es ciblées, etc.) pour augmenter la représenta­tion des femmes au sein de son caucus. On ne jugerait les partis que sur le résultat concret de leurs efforts dans la représenta­tion effective, et non pas dans la compositio­n des listes des candidatur­es aux élections générales.

Ces propositio­ns nécessiten­t une simple modificati­on à la législatio­n québécoise. On réussirait ainsi à augmenter l’offre électorale par l’ajout de compétiteu­rs mieux financés, en plus de renforcer la participat­ion citoyenne à notre vie démocratiq­ue et de s’assurer d’avoir une Assemblée nationale plus représenta­tive de l’électorat québécois. Cela n’empêcherai­t pas les débats sur des réformes plus profondes de nos institutio­ns, mais cela aurait l’énorme avantage de corriger des problèmes réels rapidement.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le financemen­t populaire servirait de levier à ces nouveaux (ou plus petits) partis en attendant le financemen­t public tiré d’une représenta­tion à l’Assemblée.

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