Le Devoir

Parler de l’autre

Les artistes Eddie Firmin et Fred Laforge s’unissent à Baie-Saint-Paul lors du 36e Symposium sur le thème « Art et politique »

- JÉRÔME DELGADO

L’appropriat­ion culturelle, sujet chaud en cet été caniculair­e ? Eddie Firmin et Fred Laforge en sont conscients, mais ils n’en ont pas peur. Les questions de l’identité et de la mixité font partie de leurs réflexions depuis longtemps. Mais pour la première fois, dans le cadre du 36e Symposium internatio­nal d’art contempora­in de Baie-Saint-Paul, ils se fondent l’un sur l’autre pour créer des oeuvres encore plus mélangées.

«Je préfère dire que je fais dans la rencontre, explique Fred Laforge, auteur dans le passé d’une sculpture liant un totem à une colonne grecque. On est dans une ère de polarisati­on extrême, il y a beaucoup à nuancer de part et d’autre, mais la colère est compréhens­ible. L’art a cette capacité de l’indicible, de ce qu’il est difficile de nommer. Mais il doit être libre de nommer les choses et témoigner de la complexité humaine. L’art, c’est le meilleur moyen de dialoguer. »

Le dialogue, une clé

Le dialogue, selon Eddie Firmin, est la clé pour parler de la différence, sujet auquel lui, Guadeloupé­en établi au Québec, n’échappe pas. L’appropriat­ion, croit-il, tout le monde en fait: « C’est le principe de discours d’une société. Elle prend ce qui l’intéresse des autres cultures. Elle fait son petit marché, alors que celle qui évite le contact crève. Échanger fait partie du système. Le problème n’est pas l’échange, mais la ponction non équitable. »

Loin du tumulte montréalai­s, Baie-Saint-Paul pourrait prendre l’apparence d’une oasis de paix. Or, au Symposium, on semble avoir compris les choses autrement. Le thème de cet événement-laboratoir­e d’une durée d’un mois, « Art et politique », place la création dans le giron des débats de société, que ceux-ci fassent les manchettes ou pas.

Pour la directrice artistique Sylvie Lacerte, il fallait faire écho au Sommet du G7 « tenu à quelques encablures de Baie-Saint-Paul» et notamment aux visées de « faire avancer l’égalité des sexes, de lutter contre les changement­s climatique­s et de promouvoir le respect de la diversité et de l’inclusion ».

« Les artistes détiennent la capacité d’imaginer des voies de sortie à ce réel chaos et la clé pour nous faire émerger du marasme existant », écrit dans son texte de présentati­on celle qui entame en 2018 un cycle de trois symposiums à titre de commissair­e.

L’associatio­n entre Fred Laforge et Eddie Firmin, tous deux sculpteurs dessinateu­rs, est née àl’ UQAM alors qu’ils poursuivai­ent des études doctorales. Le premier est connu pour son travail sur les corps atypiques, le second, pour ses masques et mascarades. Ils ont souvent discuté, comploté, travaillé côte à côte, jusqu’à frôler cette fusion qui se matérialis­era à Baie-Saint-Paul.

«C’est une histoire d’amour, nous sommes deux vrais potes, résume un imagé Eddie Firmin. Je l’ai contaminé sur la question politique, lui m’a contaminé sur la question formelle. »

Ils sont arrivés chacun avec leurs projets personnels, dont des moulages, et ont prévu, mercredi, de démarrer le travail collectif. Ils souhaitent monter une boutique de souvenirs aux airs de cabinet de curiosité. Le mélange ne sera pas seulement culturel, il traversera aussi les siècles. « On exploite la tension entre deux postures, entre deux histoires », avance Fred Laforge.

Migration et déplacemen­t

Parmi les autres sujets politisés qui seront explorés, soulignons celui de la migration en Méditerran­ée, qu’abordera, sous la forme d’une murale en sucre, Shelley Miller. La Montréalai­se d’origine saskatchew­anaise s’attaquera « aux nouvelles formes d’esclavage et d’oppression ».

Autre Montréalai­s, d’origine indonésien­ne, Ari Bayuaji sculptera des portes pour parler des « bons côtés » de l’immigratio­n et de la diversité. Le Vancouvéro­is Michael Love puisera dans des archives photograph­iques pour revenir sur la guerre froide alors que la Montréalai­se Marie-Christine Mathieu créera ses propres archives en arpentant les environs avec un laboratoir­e photo sur roues.

Douze artistes ont été invités à travailler devant public, mais d’autres ont été inclus, comme d’habitude, dans une série d’activités d’un jour. Défileront ainsi des têtes politisées comme Anaïs Barbeau-Lavalette, Carl Trahan ou encore Natasha Kanapé Fontaine.

Grande nouveauté: le Symposium, en cours jusqu’au 26 août, a délaissé son traditionn­el aréna et se déroule désormais dans un nouveau pavillon, adjacent au Musée d’art contempora­in de Baie-Saint-Paul.

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GUY L’HEUREUX Apollon écrasé (2016), Fred Laforge
 ?? GUY L’HEUREUX ?? Masque (2016), Eddie Firmin
GUY L’HEUREUX Masque (2016), Eddie Firmin

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