L’exploitation sexuelle, «endémique» dans l’humanitaire
Un comité du Parlement britannique a fait enquête dans la foulée du scandale autour d’Oxfam
Nous devrions renforcer les lois qui permettent de poursuivre les dirigeants et les administrateurs des ONG qui ont aidé ou été complices de crimes sexuels sur mineurs quand ils savaient [...] que ces crimes endémiques avaient lieu et qu’ils ont manifestement échoué à les arrêter
ANDREW MACLEOD
Le Comité sur le développement international du Parlement britannique a publié un rapport dénonçant le laxisme dans la prise en compte des agressions sexuelles de leurs salariés par de nombreuses ONG et aux Nations unies.
« Les preuves que nous avons reçues laissent entendre que l’exploitation sexuelle et les abus sont endémiques dans le secteur de l’humanitaire international, surtout dans la distribution d’aide, et qu’un grand nombre d’organisations ont été impliquées», tranchent les membres du Comité sur le développement international du Parlement britannique dans un rapport publié mardi.
Leur enquête a été lancée après le scandale qui a éclaboussé l’ONG britannique Oxfam en février. Le Times a révélé qu’en 2011, le directeur pays en Haïti, Roland van Hauwermeiren, a organisé une soirée avec des prostituées haïtiennes dans les locaux de l’ONG, peu après le tremblement de terre de 2010 qui a ravagé l’île. Lors d’une enquête interne, l’homme a avoué les faits et a pu démissionner par le biais d’une procédure « progressive » et « avec dignité », d’après le rapport d’enquête publié par Oxfam. Seulement, ce même homme a été ensuite recruté par Action contre la faim en tant que directeur pays au Bangladesh entre août 2012 et août 2014, sans qu’«aucune alerte au sujet d’une conduite inappropriée ou d’éventuelles agressions sexuelles n’ait été donnée» par Oxfam, assure l’ONG française.
L’organisation britannique a perdu beaucoup de financements après ces révélations et a assuré qu’elle mènerait en interne des changements significatifs sur le traitement de tels abus. D’autres ONG ont emboîté le pas, après que plusieurs autres scandales et témoignages ont émergé dans les médias.
Le sujet n’est pas nouveau. Dès 2002, un rapport du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et de l’ONG Save the Children UK dénonçait l’étendue des abus d’humanitaires sur des bénéficiaires au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone. Depuis, une série de rapports et de scandales ont émergé, suscitant une série de déclarations de bonnes intentions de la part du secteur. Seulement, sur le terrain, la situation n’a apparemment pas beaucoup évolué.
« Il y a clairement eu des mesures politiques mises en place depuis le scandale en Afrique de l’Ouest, a déclaré Asmita Naik, coauteur du rapport de 2002 aux parlementaires. Le problème semble être le manque d’implémentation. » Les rapporteurs reprennent cette analyse dans leur conclusion et déclarent : « Alors qu’il y a de toute évidence des acteurs au sein de la communauté humanitaire qui sont dévoués à la lutte contre les abus et l’exploitation sexuelle, l’impression générale est celle d’une complaisance, penchant vers de la complicité. »
Prostitution
Le Comité s’est aussi penché sur la question du recours à la prostitution par du personnel humanitaire dans des pays où elle est légale. Une pratique qui est souvent tolérée au sein des ONG, bien qu’elles soient nombreuses à l’interdire dans leur code de conduite. Plusieurs travailleurs en avaient témoigné à Libération lors d’une enquête publiée en mai. Winnie Byanyima, la directrice d’Oxfam International, a elle-même affirmé que « le recours à des prostituées dans des conditions de pauvreté, de vulnérabilité et de conflit est de l’exploitation sexuelle et de l’abus ».
Le rapport souligne aussi que le manque de réponses efficaces du secteur face à ces comportements endommage considérablement l’image même des organisations et le travail qu’elles mènent sur le terrain. Pour Andrew MacLeod, cofondateur de l’association Hear Their Cries, qui vise à lutter contre les viols d’enfants dans le milieu humanitaire, les parlementaires ne vont pas assez loin : « Sur les 116 pages du rapport, les mots “poursuites judiciaires ” n’apparaissent que trois fois, dénonce-t-il dans un communiqué. Nous devrions renforcer les lois qui permettent de poursuivre les dirigeants et les administrateurs des ONG qui ont aidé ou été complices de crimes sexuels sur mineurs quand ils savaient depuis des décennies, ou auraient dû être au courant, que ces crimes endémiques avaient lieu et qu’ils ont manifestement échoué à les arrêter. »
Quelle est l’ampleur du phénomène ? Le rapport n’apporte pas de réponses à cette question récurrente et souligne qu’aucune étude étendue n’a été menée sur le sujet, y compris sur les abus au sein des organisations d’aide. Les élus concluent tout de même que l’étendue du problème est sûrement sous-estimée.