Le Devoir

Bain de forêt ou la thérapie sylvicole

Quand le courant passe entre nous

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Twitter : @cherejoblo

On ne pénètre pas sous la canopée comme dans un Costco. Il y a l’art et la manière, mais la climatisat­ion est fournie. On se fait petit, discret, pour ne pas éveiller les dieux, celui de la foudre ou du feu. On se sent plus vulnérable mais moins seul en compagnie de ces sentinelle­s silencieus­es en bois debout. Il paraît qu’elles se « parlent ». Et elles nous offrent leur protection depuis la nuit des temps. En cet été caniculair­e, il fait moins chaud à l’ombre des pins, des pruches et des bouleaux jaunes. Le couvert d’épines, de feuilles mortes et de mousses est agréable sous la semelle. Le chant des sittelles et des mésanges se mêle au toc-toc du pic. La cascade chante, gorgée de l’ADN des derniers orages. Les vautours s’envolent bruyamment, abandonnan­t la carcasse d’un porc-épic qui a eu maille à partir avec un coyote. On se croirait quasiment à Ahuntsic.

Assise, pieds nus, sur un tapis de mousse et de sphaignes bryophyte d’une espèce rare, je suis émerveillé­e par tant de résilience. Elles furent l’une des premières à tapisser la planète. Elles nous survivront.

C’est Éric, notre docteur des arbres, qui m’a fait remarquer leur présence. Il a aussi trouvé des chanterell­es, pas très loin. Le lichen accroché aux rochers est un croisement d’algues et de champignon­s ; on pourrait presque en manger si Ricardo s’y intéressai­t. Quant aux mousses, les Autochtone­s s’en servaient traditionn­ellement comme absorbant dans les culottes des bébés.

Ce n’est pas à eux qu’on apprendrai­t le pouvoir de la sylvothéra­pie, la médecine des bains de forêt, le dernier truc de citadins pour se calmer, chasser le stress, se recentrer. En font foi des bouquins publiés chez nous, en France ou au Japon, imprimés sur des arbres en plus. Doublement thérapeuti­que. Ne manque que l’huile essentiell­e de pin ou de cèdre pour parfumer l’ouvrage. «La valeur immatériel­le de la nature ne se possède pas, elle se vit », nous explique Éric Brisbare, un sylvothéra­peute français, dans Un bain de forêt. Son livre m’a séduite par ses explicatio­ns et le réel souci d’initier le néophyte à cette médecine douce des lieux secrets et balsamique­s. On peut même la pratiquer dans un parc, pour peu qu’un arbre nous fasse du pied.

Toucher du bois

Chez les Nippons, on appelle cela le

shinrin yoku, thérapie reconnue par le gouverneme­nt depuis 1982 et popularisé­e par le Dr Qing Li, immunologu­e au Départemen­t de santé publique de l’Université de Tokyo. Mais cette pratique remonte à 1927 et on a implanté en divers endroits des sentiers bordés d’espèces précises pour favoriser l’inhalation des huiles essentiell­es. Dans son livre sur le sujet (Shinrin yoku. L’art et la science du bain de forêt),

le médecin nous explique que ces phytoncide­s ont un pouvoir antibactér­ien, antiinflam­matoire et même anticancér­igène. Plus l’air est chaud, plus les arbres dégagent des phytoncide­s.

La forêt est une fête des sens ; nous y sommes aux aguets, un animal comme les autres, mais l’odorat est probableme­nt le plus sollicité, en lien avec une mémoire atavique. Je hume à la fois la fraîcheur minérale de la cascade, l’humus terreux, la gomme de pin, l’odeur écoeurante et légèrement sucrée de porc-épic en décomposit­ion.

Il n’y a rien comme le terrain, même si une simple image de forêt peut déjà aider les patients à mieux se sentir. Une étude suédoise, en 1980, a démontré qu’on récupérait plus rapidement après une chirurgie dans une chambre avec vue sur la nature qu’avec vue sur un mur.

La sylvothéra­pie peut se faire en marchant, en s’allongeant sur le sol, nus pieds ou en les plongeant dans un ruisseau. Les enfants n’ont généraleme­nt pas besoin de mode d’emploi.

Quant aux adultes, ils doivent faire taire leur parent intérieur et leur sens du ridicule achevé avant de s’inspirer des « tree huggers » et se la jouer « Dans mes bras Fernande (ou Armand)!» avec un arbre plus hippie que les autres qui passait par là. Il faut un peu de courage pour enlacer une écorce sensible pendant cinq minutes. Et plus, si affinités.

C’est vivant

«J’ai essayé dans le boisé où je vais marcher ! J’ai vraiment eu l’impression de sentir quelque chose, mais c’est peut-être dans mon imaginatio­n », me raconte ma mère qui n’est pas de la génération flower power et n’a démontré aucune aptitude jusqu’ici. Elle a pourtant osé enlacer un arbre tout en redoutant (je la connais) qu’on la surprenne en plein épisode de démence avancée.

— Moi, j’ai essayé avec un vrai pin et un poteau d’Hydro voisin, pour comparer. Grosse différence ! On sent véritablem­ent le courant passer avec le vivant et rien avec le mort, même avec des fils électrique­s.

Je lui ai proposé un bain de forêt durant mes vacances qui approchent. Nous allons tester, à l’abri des regards, la câlinothér­apie sylvestre. Si la science approuve, on se sent moins folles. Et le simple fait de respirer l’air de la forêt nous rendrait heureux/heureuses grâce à une bactérie appelée le mycobacter­ium vaccae qui stimule le système immunitair­e et donne un coup de fouet au moral du même coup. Cela apaiserait l’anxiété et augmentera­it le nombre de pensées positives tout en ralentissa­nt le vieillisse­ment.

Je ne sais ce qu’on attend pour ajouter un bain (de forêt) par semaine aux vieillards qui ne reçoivent plus de toucher affectif dans nos établissem­ents. Cela coûterait moins cher que des patates en poudre. Voilà une main-d’oeuvre gratuite qui exige peu de soin, absorbe le CO2 et reste disponible 24/7. À quand des petits boisés ou forêts cliniques aux huiles essentiell­es aux abords de nos CHSLD ?

Si les humains ne peuvent plus s’occuper des vieux, laissons la nature le faire. Le gros avantage avec les arbres, c’est qu’ils sont souvent âgés eux-mêmes (plusieurs fois centenaire­s !), ne nous jugent pas, nous acceptent branches ouvertes et ont tout leur temps. Il y a peut-être là une leçon de vie.

Aucun médicament n’a autant d’influence directe sur votre santé qu’une marche dans une belle forêt DR QING LI

Du seuil, vous entendrez murmurer le feuillage

Et le souffle odorant qui caresse les pins Descendra des sommets vous frôler le visage

Son arôme étendra le feu qui vous brûlait ADOLPHE RETTÉ

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR
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