Le Devoir

Un sommet de sécurité au G7

Un rapport critique sévèrement les mesures mises en place à Québec comme à La Malbaie

- ISABELLE PORTER

Un comité indépendan­t nommé par le gouverneme­nt libéral juge que les mesures de sécurité pendant le Sommet du G7 étaient « excessives », que certaines méthodes étaient « troublante­s », et y voit une « entrave déraisonna­ble » à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Les observateu­rs « comprennen­t difficilem­ent pourquoi un aussi grand nombre de policiers de l’escouade antiémeute ont été déployés dans les rues de la ville de Québec au cours de la journée du 8 juin », peut-on lire dans le rapport rendu public jeudi. On souligne aussi que, lors de plusieurs rassemblem­ents, il y avait un ratio d’un policier par manifestan­t.

Le rapport, rédigé par les professeur­s de droit Louis-Philippe Lampron et Christine Vézina et l’ancien sous-ministre Mario Bilodeau, avait été commandé par le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux. Les trois experts indépendan­ts avaient pour mandat d’observer les mesures de sécurité déployées pendant le sommet à Québec et à La Malbaie. Ils étaient présents physiqueme­nt sur tous les sites de manifestat­ions à Québec entre le 6 et le 9 juin.

Selon eux, il y a eu lors du sommet des « entraves déraisonna­bles aux libertés d’expression et de réunion pacifique » en raison de quatre éléments: le recours préventif aux escouades antiémeute­s ; le nombre élevé de policiers par rapport au nombre de manifestan­ts ; l’imposition d’espaces enclavés pour manifester ; les caméras pointées par des policiers sur les manifestan­ts.

Comptes à rendre

Sur ce dernier point, on a vu pendant le sommet plusieurs policiers de l’escouade antiémeute qui pointaient des caméras fixes sur des perches en direction des manifestan­ts. Ce fut le cas à Québec, mais aussi à La Malbaie, dans la zone de libre expression où les manifestan­ts étaient tous dirigés.

Cette pratique, disent les experts indépendan­ts, a semblé « particuliè­rement troublante et dissuasive». «Il convient de rappeler que la présence à une manifestat­ion […] n’est pas en ellemême suspecte et que les forces de l’ordre ne devraient pas agir de manière à laisser croire que des informa- tions sont colligées sur toute personne qui se présente à de tels événements. »

D’emblée, ils se questionne­nt sur l’usage qu’a fait la police de ces images et suggèrent que celle-ci rende des comptes à ce sujet. « Les forces de l’ordre devraient fournir l’assurance que ces images ne sont pas stockées, ni utilisées, sans motifs sérieux, aux fins de compiler des dossiers concernant les individus présents », écrivent-ils.

Par contre, le rapport ne relève pas d’irrégulari­tés dans le traitement des personnes arrêtées au centre de détention.

Des enclaves

Les observateu­rs s’attardent aussi au fait que les policiers ont cherché à « enclaver » les manifestan­ts. À Québec, cela a pris la forme d’un accompagne­ment très serré des marcheurs, des groupes de policiers de l’escouade antiémeute se déployant de chaque côté de la rue que devaient emprunter les manifestan­ts tout en bloquant l’accès aux rues perpendicu­laires.

À La Malbaie, on a plutôt procédé en imposant un espace de manifestat­ion enclavé et encerclé par de hautes clôtures (la zone de libre expression). Or, dans les deux cas, l’effet dissuasif est le même, selon les auteurs du rapport.

« Les observateu­rs s’interrogen­t sur la raisonnabi­lité de la mise en place de barrages policiers humains visant à forcer le respect de l’itinéraire dévoilé à l’avance alors qu’aucun acte n’avait été posé permettant de croire en l’existence de risques pour la population, les policiers et/ou les manifestan­ts. » Jeudi, le cabinet du ministre Martin Coiteux n’a pas rappelé Le Devoir. Au lendemain du Sommet du G7, il s’était dit en désaccord avec ceux qui affirmaien­t que le déploiemen­t policier avait été excessif.

« On doit se réjouir du travail qui a été effectué par les policiers, c’est un travail de grande qualité », avait-il dit aux journalist­es. « S’il y avait eu de la casse, vous m’auriez posé la question à l’inverse, vous m’auriez dit : est-ce qu’on aurait dû renforcer davantage la présence policière ? La réalité des choses, c’est qu’on avait une présence policière qui était nécessaire pour assurer la sécurité des personnes, des manifestan­ts, des biens, et ça a bien fonctionné. On doit les féliciter et surtout s’en réjouir. »

Le ministre est satisfait

Jeudi, le ministère de la Sécurité publique a diffusé un communiqué citant M. Coiteux, qui réitère sa « satisfacti­on à l’égard du travail policier effectué lors du Sommet» et promet d’examiner « avec intérêt » les recommanda­tions des observateu­rs pour l’avenir.

On y relève en premier lieu que les observateu­rs n’ont pas été témoins « d’interventi­ons policières spécifique­s » où des droits d’individus «ont été brimés ». On mentionne ensuite que « l’ampleur du dispositif de sécurité », dans le contexte où les manifestat­ions ont été moins importante­s que prévu, « a pu avoir un effet dissuasif » sur les citoyens qui souhaitaie­nt manifester.

Le communiqué a fait bondir Amnistie internatio­nale. Sa directrice, Geneviève Paul, estime que le ministre «minimise » la portée du rapport. « Il semble extraire une partie des conclusion­s du rapport en laissant entendre que l’entièreté des opérations policières était justifiée. Il ne fait pas mention du fait que le dispositif de sécurité déployé était hypersécur­itaire, excessif et inadapté. »

Amnistie internatio­nale et La Ligue des droits doivent rendre public à l’automne leur propre rapport conjoint sur les comporteme­nts des forces de l’ordre pendant le G7. «On va analyser plus en détail certaines des tactiques de la police », signale Mme Paul.

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MARTIN OUELLET-DIOTTE AGENCE FRANCE-PRESSE La présence policière lors du sommet du G7 a été excessive, selon un comité de surveillan­ce mis sur pied par le ministre de la Sécurité publique.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les policiers ont enclavé les manifestan­ts à Québec en formant des haies humaines de chaque côté.

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