Un sommet de sécurité au G7
Un rapport critique sévèrement les mesures mises en place à Québec comme à La Malbaie
Un comité indépendant nommé par le gouvernement libéral juge que les mesures de sécurité pendant le Sommet du G7 étaient « excessives », que certaines méthodes étaient « troublantes », et y voit une « entrave déraisonnable » à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Les observateurs « comprennent difficilement pourquoi un aussi grand nombre de policiers de l’escouade antiémeute ont été déployés dans les rues de la ville de Québec au cours de la journée du 8 juin », peut-on lire dans le rapport rendu public jeudi. On souligne aussi que, lors de plusieurs rassemblements, il y avait un ratio d’un policier par manifestant.
Le rapport, rédigé par les professeurs de droit Louis-Philippe Lampron et Christine Vézina et l’ancien sous-ministre Mario Bilodeau, avait été commandé par le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux. Les trois experts indépendants avaient pour mandat d’observer les mesures de sécurité déployées pendant le sommet à Québec et à La Malbaie. Ils étaient présents physiquement sur tous les sites de manifestations à Québec entre le 6 et le 9 juin.
Selon eux, il y a eu lors du sommet des « entraves déraisonnables aux libertés d’expression et de réunion pacifique » en raison de quatre éléments: le recours préventif aux escouades antiémeutes ; le nombre élevé de policiers par rapport au nombre de manifestants ; l’imposition d’espaces enclavés pour manifester ; les caméras pointées par des policiers sur les manifestants.
Comptes à rendre
Sur ce dernier point, on a vu pendant le sommet plusieurs policiers de l’escouade antiémeute qui pointaient des caméras fixes sur des perches en direction des manifestants. Ce fut le cas à Québec, mais aussi à La Malbaie, dans la zone de libre expression où les manifestants étaient tous dirigés.
Cette pratique, disent les experts indépendants, a semblé « particulièrement troublante et dissuasive». «Il convient de rappeler que la présence à une manifestation […] n’est pas en ellemême suspecte et que les forces de l’ordre ne devraient pas agir de manière à laisser croire que des informa- tions sont colligées sur toute personne qui se présente à de tels événements. »
D’emblée, ils se questionnent sur l’usage qu’a fait la police de ces images et suggèrent que celle-ci rende des comptes à ce sujet. « Les forces de l’ordre devraient fournir l’assurance que ces images ne sont pas stockées, ni utilisées, sans motifs sérieux, aux fins de compiler des dossiers concernant les individus présents », écrivent-ils.
Par contre, le rapport ne relève pas d’irrégularités dans le traitement des personnes arrêtées au centre de détention.
Des enclaves
Les observateurs s’attardent aussi au fait que les policiers ont cherché à « enclaver » les manifestants. À Québec, cela a pris la forme d’un accompagnement très serré des marcheurs, des groupes de policiers de l’escouade antiémeute se déployant de chaque côté de la rue que devaient emprunter les manifestants tout en bloquant l’accès aux rues perpendiculaires.
À La Malbaie, on a plutôt procédé en imposant un espace de manifestation enclavé et encerclé par de hautes clôtures (la zone de libre expression). Or, dans les deux cas, l’effet dissuasif est le même, selon les auteurs du rapport.
« Les observateurs s’interrogent sur la raisonnabilité de la mise en place de barrages policiers humains visant à forcer le respect de l’itinéraire dévoilé à l’avance alors qu’aucun acte n’avait été posé permettant de croire en l’existence de risques pour la population, les policiers et/ou les manifestants. » Jeudi, le cabinet du ministre Martin Coiteux n’a pas rappelé Le Devoir. Au lendemain du Sommet du G7, il s’était dit en désaccord avec ceux qui affirmaient que le déploiement policier avait été excessif.
« On doit se réjouir du travail qui a été effectué par les policiers, c’est un travail de grande qualité », avait-il dit aux journalistes. « S’il y avait eu de la casse, vous m’auriez posé la question à l’inverse, vous m’auriez dit : est-ce qu’on aurait dû renforcer davantage la présence policière ? La réalité des choses, c’est qu’on avait une présence policière qui était nécessaire pour assurer la sécurité des personnes, des manifestants, des biens, et ça a bien fonctionné. On doit les féliciter et surtout s’en réjouir. »
Le ministre est satisfait
Jeudi, le ministère de la Sécurité publique a diffusé un communiqué citant M. Coiteux, qui réitère sa « satisfaction à l’égard du travail policier effectué lors du Sommet» et promet d’examiner « avec intérêt » les recommandations des observateurs pour l’avenir.
On y relève en premier lieu que les observateurs n’ont pas été témoins « d’interventions policières spécifiques » où des droits d’individus «ont été brimés ». On mentionne ensuite que « l’ampleur du dispositif de sécurité », dans le contexte où les manifestations ont été moins importantes que prévu, « a pu avoir un effet dissuasif » sur les citoyens qui souhaitaient manifester.
Le communiqué a fait bondir Amnistie internationale. Sa directrice, Geneviève Paul, estime que le ministre «minimise » la portée du rapport. « Il semble extraire une partie des conclusions du rapport en laissant entendre que l’entièreté des opérations policières était justifiée. Il ne fait pas mention du fait que le dispositif de sécurité déployé était hypersécuritaire, excessif et inadapté. »
Amnistie internationale et La Ligue des droits doivent rendre public à l’automne leur propre rapport conjoint sur les comportements des forces de l’ordre pendant le G7. «On va analyser plus en détail certaines des tactiques de la police », signale Mme Paul.