Le Devoir

Junex passe à des intérêts albertains

L’entreprise contrôlera 8200 km2 de permis d’exploratio­n au Québec

- ALEXANDRE SHIELDS

Après l’entreprise québécoise Pétrolia, c’est maintenant au tour de Junex de passer aux mains d’une pétrolière albertaine. Les projets d’hydrocarbu­res les plus avancés au Québec seront donc tous dirigés par des intérêts financiers de l’Ouest canadien, qui contrôlero­nt par la même occasion des milliers de kilomètres carrés de permis d’exploratio­n dans la province.

Dans le cadre d’une assemblée extraordin­aire tenue jeudi, les actionnair­es de Junex qui ont exercé leur droit de vote se sont exprimés à 98,9 % en faveur du « regroupeme­nt » avec la pétrolière Cuda Energy, de Calgary.

Il n’a toutefois pas été possible de savoir si Investisse­ment Québec, qui détient près de 15 % des actions de Junex, a voté pour ce « regroupeme­nt stratégiqu­e » qui avait été recommandé par la direction de l’entreprise québécoise d’exploratio­n pétrolière et gazière. La société d’État, qui a injecté plusieurs millions de dollars dans les projets de Junex, n’a pas voulu commenter la décision des actionnair­es.

Actifs au Québec

La nouvelle entreprise, qui sera dirigée par des intérêts albertains, se nommera « Cuda Oil and Gas ». Au Québec, elle contrôlera plus de 8200km2 de permis d’exploratio­n, dont près de 3700km2 dans les basses-terres du Saint-Laurent.

Elle détiendra plusieurs permis sur la rive nord, entre Montréal et Québec, mais aussi sur la rive sud du fleuve. Il faut dire que Junex y a été particuliè­rement active dans la recherche de gaz de schiste, avant que la controvers­e ne vienne freiner ses projets.

Junex a aussi développé le projet d’exploratio­n pétrolière qui est le plus avancé au Québec, soit le projet Galt, à l’ouest de Gaspé. Selon les documents de l’entreprise, elle est d’ailleurs en attente d’un « bail de production ». L’objectif serait de forer pas moins de trente puits au cours des prochaines années afin d’exploiter du pétrole.

Toujours selon les données de Junex, le gisement de Galt, où des forages horizontau­x ont déjà été réalisés, pourrait produire huit millions de barils, en supposant un taux de récupérati­on de 10 % du pétrole découvert. Cela équivaut à environ vingt-trois jours de consommati­on au Québec.

Lors des « essais de production » réalisés en 2015 et 2016, l’entreprise a déjà extrait 17 000 barils de pétrole « d’excellente qualité ». Et l’entreprise assure qu’elle n’aura pas besoin de procéder à des opérations de fracturati­on pour exploiter le gisement.

La direction de Junex n’a pas répondu à la demande d’entrevue du Devoir. Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, n’a pas non plus voulu réagir jeudi.

Il n’a par ailleurs pas été possible d’obtenir une réaction de la part d’Utica Resources, qui avait présenté une offre non sollicitée au conseil d’administra­tion de Junex.

Selon ce que faisait valoir Utica, son offre aurait permis de maintenir l’équipe de Junex et les activités de l’entreprise au Québec, « au lieu d’une filiale d’une société de Calgary concentrée sur des occasions se trouvant dans d’autres provinces ».

La décision des actionnair­es de Junex signifie en effet qu’une autre entreprise québécoise de la filière des énergies fossiles est désormais contrôlée par l’Alberta, après Pétrolia l’an dernier, devenue Pieridae Energy.

Pieridae et Cuda contrôlero­nt donc des milliers de kilomètres carrés de permis d’exploratio­n dans la vallée du Saint-Laurent et en Gaspésie. Pieridae y dirige les projets Bourque et Haldimand, tous deux situés à la pointe de la Gaspésie.

Loi sur les hydrocarbu­res

Cette nouvelle prise de contrôle a lieu au moment où la Loi sur les hydrocarbu­res est sur le point d’entrer en vigueur au Québec, ouvrant la voie à l’exploitati­on pétrolière et gazière. Le gouverneme­nt a l’intention d’autoriser les projets en Gaspésie, mais aussi le recours à la fracturati­on.

Professeur au Départemen­t de management à HEC Montréal, Louis Hébert ne s’étonne pas de cette décision des actionnair­es de Junex, d’autant plus que « le contexte québécois » n’est pas particuliè­rement propice au développem­ent de projets pétroliers et gaziers.

Selon lui, si l’opposition est trop forte, la nouvelle entreprise pourrait tout simplement « se désintéres­ser du Québec », puisqu’elle a d’autres projets au Canada et aux États-Unis.

Est-ce que Cuda pourrait exiger une compensati­on en raison de la décision du gouverneme­nt Couillard de fermer la porte au gaz de schiste ? Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informatio­ns socio-économique­s, estime qu’une telle situation est « possible ».

Selon lui, la prise de contrôle de Junex par une entreprise qui n’est pas un joueur majeur du secteur des énergies fossiles démontre toutefois que ses potentiels gisements en sol québécois « ne sont probableme­nt pas très importants ».

Pour les opposants aux projets de Junex, la situation demeure la même. « Cuda Energy est une entreprise idéaliste si elle croit que son investisse­ment sera un jour rentable.

Les projets d’extraction d’hydrocarbu­res au Québec se heurteront à une résistance citoyenne toujours plus forte », a fait valoir Colin Pratte, du regroupeme­nt Junexit de la Gaspésie.

Pieridae et Cuda contrôlero­nt des milliers de kilomètres carrés de permis d’exploratio­n dans la vallée du SaintLaure­nt et en Gaspésie

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