Le Devoir

La maladie mentale a « le dos large »

- Kharoll-Ann Souffrant

Lorsque des tueries comme celle ayant eu lieu à Toronto surviennen­t, prompts sont de nombreux individus à brandir le spectre de la folie pour expliquer ces crimes. Ce type de raccourci intellectu­el rate sa cible. Non seulement il n’aborde pas certaines des causes profondes des horreurs qui affligent l’actualité depuis les dernières semaines mais, qui plus est, cela a un effet de stigmatisa­tion envers les individus ayant reçu un diagnostic de maladie mentale au cours de leur vie.

Je suis travailleu­se sociale, candidate à la maîtrise en travail social et conférenci­ère. En 2017, l’Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale m’a nommée Visage d’une campagne nationale de sensibilis­ation visant à faire tomber les tabous et les préjugés à l’égard des personnes vivant avec un diagnostic de maladie mentale au Canada. J’ai également oeuvré sur le terrain, à titre d’intervenan­te et de bénévole, dans divers contextes où j’ai offert aide et soutien à des personnes en détresse. Sur le plan personnel, je reçois régulièrem­ent des confidence­s d’individus qui ont souffert ou qui connaissen­t une personne qui souffre.

Le mythe de la violence

D’entrée de jeu, il importe de déboulonne­r le mythe voulant que les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie mentale soient dangereuse­s et violentes. Plusieurs chercheurs, groupes d’usagers et organisati­ons en santé mentale reconnus ont fait valoir que les personnes vivant avec un diagnostic de santé mentale sont plus susceptibl­es d’être victimes d’un acte criminel que d’en commettre un. On parle également de taux de violence, qui ne seraient pas plus élevés que ceux que l’on retrouve dans la population en général. Ces informatio­ns viennent donc déconstrui­re la représenta­tion, souvent tronquée, de la maladie mentale telle que présentée dans les films de fiction et les médias d’informatio­n.

Selon l’Institut universita­ire en santé mentale de Montréal, une personne sur cinq souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie. Étant donné la prévalence de ce problème de société, chacun d’entre nous a déjà été touché par ce fléau de près ou de loin. Malgré les défis quotidiens qui viennent d’office avec le fait de vivre avec un diagnostic de maladie mentale, toutes les personnes touchées de manière directe ne sont donc pas systématiq­uement dangereuse­s ou violentes !

Une nuance s’impose ici. On ne peut nier le fait que les individus qui commettent l’irréparabl­e peuvent souffrir de diverses fragilités psychologi­ques. Mais il est fallacieux d’expliquer ces actes de violence en ayant pour seule et unique thèse celle de la maladie mentale. Cela occulte plusieurs enjeux fondamenta­ux en plus de personnali­ser et d’individual­iser le débat, qui pourrait pourtant être une occasion de se poser des questions difficiles sur notre société.

À titre d’exemple, remettre continuell­ement en doute l’état mental du président Donald Trump sans reconnaîtr­e les nombreux facteurs sociaux, culturels ou politiques ayant contribué à son ascension à la présidence des États-Unis constitue une analyse qui est, à mon sens, incomplète. Si l’on veut vraiment parler de santé mentale, parlons d’accès à la psychothér­apie, aux services psychosoci­aux, à des modèles de prévention et d’interventi­on qui prennent en compte les déterminan­ts sociaux de la santé mentale ainsi que l’inclusion des familles et des communauté­s.

Décidément, la maladie mentale a le dos large. Les personnes vivant avec un diagnostic de maladie mentale n’ont pas le monopole de la violence, de l’intoléranc­e, de la misogynie ou encore du racisme. Percevoir la maladie mentale comme seule et unique responsabl­e de tout comporteme­nt répréhensi­ble socialemen­t est une prise de position maladroite, mais surtout aliénante pour ceux et celles qui souffrent en silence, et ce, sans faire de mal à autrui.

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