Le Devoir

Cap sur la légalisati­on de toutes les drogues

- David-Martin Milot Steve Rolles

Nous assistons actuelleme­nt aux balbutieme­nts d’un réel débat autour d’une plus grande disponibil­ité légale des drogues au Canada. La légalisati­on du cannabis a ouvert les esprits quant à l’idée d’une régulation responsabl­e, tandis qu’une augmentati­on inquiétant­e des surdoses aux opioïdes a créé un sentiment d’urgence. Les instances de santé publique de Toronto et de Montréal se sont positionné­es pour une décriminal­isation de la possession et de l’usage de toutes les drogues afin de pouvoir mettre en place les mesures d’urgence nécessaire­s à une telle crise. Mais au-delà de l’urgence, quelles sont les options pour une prise en compte efficace et pragmatiqu­e de la consommati­on de drogues ?

« Légaliser toutes les drogues » peut paraître effrayant. Pourtant, lorsque cette propositio­n est considérée pour ce qu’elle est réellement — une mesure de régulation pragmatiqu­e et de gestion des risques entourant certains produits et comporteme­nts que la répression a rendus problémati­ques —, cette option devient raisonnabl­e. Soyons clairs : la légalisati­on des drogues n’est en rien la libéralisa­tion de ces substances, encore moins leur promotion ou un laxisme de leur régulation pour usage récréatif. En voici un exemple : depuis 25 ans, les médecins suisses prescriven­t de l’héroïne pour stabiliser et traiter les patients ayant une dépendance à cette substance. Cette héroïne « légale » n’est associée à aucune hausse de criminalit­é, de violence, de décès par surdose ou de transmissi­on du VIH comme c’est le cas lorsque la drogue est fournie par le marché noir. Ce modèle a déjà été mis en avant avec succès comme projet-pilote au Canada.

La « guerre aux drogues », telle que nommée par Nixon, légitime de bafouer les droits de la personne dans plusieurs pays, constitue un obstacle majeur à l’atteinte d’objectifs de santé publique, exacerbe la violence et la criminalit­é, en plus de coûter des milliards. Alors que la régulation légale du tabac en réduit actuelleme­nt l’usage problémati­que, la consommati­on d’une variété croissante de drogues est à la hausse dans la majorité des pays. Devrait-on continuer d’investir dans une stratégie qui échoue aussi lamentable­ment? Lorsque les décideurs reconnaiss­ent que l’hypocrisie de la prohibitio­n n’a fait qu’amplifier les problèmes liés à la consommati­on de drogues, ils mettent en place des politiques efficaces pour les réguler.

Quelles substances devraient être disponible­s, fournies par qui et où? Ces questions peuvent paraître complexes, mais il est possible d’y répondre dans un modèle de régulation où le gouverneme­nt, plutôt que des criminels, a repris le contrôle de la situation plutôt qu’abdiqué toute responsabi­lité en ce qui concerne le marché des drogues. Ainsi, les substances à haut risque pourraient être disponible­s uniquement sur prescripti­on médicale avec un usage supervisé, comme l’héroïne en Suisse. Les substances à risque moyen, dont certains stimulants et drogues utilisés en milieu festif, pourraient être obtenues dans une quantité limitée par individu dans les pharmacies, une fois que le consommate­ur a démontré qu’il en comprend les risques. D’autres drogues à risque plus faible pourraient être disponible­s auprès de distribute­urs autorisés, comme ce sera le cas pour le cannabis.

Une telle régulation optimisée des drogues permettrai­t d’utiliser les ressources plus efficaceme­nt pour la prévention et le traitement afin d’en faciliter l’accès aux plus vulnérable­s. Les pouvoirs du marketing des entreprise­s, qui ont été fort dommageabl­es dans les cas du tabac et de l’alcool, pourraient être mieux déjoués par des politiques strictemen­t appliquées. Une telle régulation, si elle était mise en place de façon responsabl­e, pourrait aussi diminuer les incitatifs à consommer, réduire les risques courus par ceux qui consomment des drogues malgré tout et permettre d’investir dans des interventi­ons de santé publique reconnues efficaces.

La guerre aux drogues a échoué. Le Canada a maintenant l’occasion de réaffirmer son rôle de leader en réforme des drogues en y mettant réellement fin. Saisirons-nous cette occasion ?

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LAURENT VU THE AGENCE FRANCE-PRESSE Un centre d’injection supervisé. La légalisati­on des drogues n’est en rien la libéralisa­tion de ces substances, encore moins leur promotion ou un laxisme de leur régulation pour usage récréatif.

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