Le Devoir

L’ecstasy pour combattre le stress post-traumatiqu­e

Une étude clinique devrait commencer à Montréal au début de l’an prochain

- ALEXIS RIOPEL

Selon des études préliminai­res, l’ingrédient de base de l’ecstasy, la MDMA, pourrait aider les personnes souffrant d’états de stress post-traumatiqu­e à se libérer de leurs démons. Un grand essai clinique de phase III — le dernier avant l’approbatio­n par les agences de santé — est en démarrage, et un volet de cette étude devrait commencer début 2019 à Montréal.

Le 24 juillet, Santé Canada a délivré une exemption à la Multidisci­plinary Associatio­n for Psychedeli­c Studies (MAPS), l’organisme à but non lucratif qui organise l’étude, pour utiliser de la MDMA dans une clinique montréalai­se. Ce sera la clinique privée du psychiatre Simon Amar qui traitera des patients. La drogue sera administré­e dans le cadre d’une thérapie strictemen­t balisée.

Un premier patient sera vu dès cet automne afin de parfaire la formation des deux psychothér­apeutes autorisés à prodiguer le traitement.

« Après cette première étape, nous lancerons un appel aux patients pour l’étude de phase III », précise le Dr Amar. « En tout, l’étude comptera de 200 à 300 sujets, indique-t-il. À Montréal, nous aimerions recruter de sept à dix personnes. »

L’efficacité des psychothér­apies augmentées de MDMA pour guérir des personnes souffrant d’états de stress post-traumatiqu­e (ESPT) a été mise en évidence dans plusieurs essais cliniques préliminai­res menés par MAPS depuis une dizaine d’années. En mai dernier, les plus récents résultats ont été publiés dans la revue scientifiq­ue

The Lancet Psychiatry. Quinze des dixneuf sujets de cette étude ont vu leur état s’améliorer considérab­lement.

Sentiment de confiance

La MDMA n’agit pas sur le patient comme un médicament traditionn­el. Elle est administré­e à quelques reprises seulement, dans un environnem­ent contrôlé. Le patient est accompagné de deux psychothér­apeutes pendant huit heures.

La prise de MDMA génère un sentiment de confiance envers les autres et envers soi-même, qui permet au pa-

Il y a actuelleme­nt une énorme renaissanc­e des psychédéli­ques dans le monde médical MARK HADEN

tient d’affronter son traumatism­e. Les réalisatio­ns qu’il fait sous l’effet de la drogue ont tendance à perdurer.

« Je garde un oeil sur ces traitement­s depuis des années, et je trouve les premiers résultats extrêmemen­t prometteur­s », indique le colonel Rakesh Jetly, le psychiatre principal des Forces armées canadienne­s, qui considère l’essai clinique à Montréal comme une excellente nouvelle.

Les ESPT sont caractéris­és par des souvenirs envahissan­ts, un évitement de tout élément rappelant le traumatism­e, une altération de la mémoire, la tendance à se blâmer, un détachemen­t émotionnel et une hyperactiv­ation du système nerveux.

L’étude de phase III se déroulera dans quinze sites différents aux États Unis, en Israël et au Canada, à Vancouver et à Montréal. Chaque sujet participer­a à trois séances lors desquelles il avalera un cachet de MDMA, avec un intervalle chaque fois de trois à cinq semaines. Il devra aussi assister à six rencontres préalables au traitement.

L’étude est conçue pour remplir les exigences de la FDA américaine, mais une approbatio­n aux États-Unis pourrait influencer Santé Canada, explique Mark Haden, professeur adjoint à l’école de santé publique à l’Université de Colombie-Britanniqu­e et directeur exécutif de la branche canadienne de MAPS.

Renaissanc­e des psychédéli­ques

Actuelleme­nt, le principal traitement pour les gens qui souffrent d’ESPT est la désensibil­isation, mais «malheureus­ement, le niveau de décrochage est très élevé, commente Mark Haden. Même pour les patients qui terminent les thérapies, le taux de succès est faible ».

« Il y a actuelleme­nt une énorme renaissanc­e des psychédéli­ques dans le monde médical. Jusqu’à maintenant, les données montrent qu’ils peuvent aider à traiter les ESPT, mais aussi la dépression, l’anxiété ou la dépendance au tabac », poursuit Mark Haden.

MAPS espère que le traitement augmenté à la MDMA sera disponible pour tous les patients en 2021. L’associatio­n n’obtiendra aucun brevet sur la molécule, puisque celle-ci avait déjà été brevetée en 1912 par Merck, qui ne l’avait jamais commercial­isée. Aux États-Unis, MAPS bénéficier­a toutefois d’une exclusivit­é de cinq ans si elle arrive à démontrer une nouvelle utilité à la drogue.

Au Canada, environ 830 000 hommes et 370 000 femmes souffrent d’ESPT, selon le site Web de l’Institut universita­ire de santé mentale Douglas. Les agressions physiques ou sexuelles, la guerre, les accidents ou les catastroph­es naturelles sont les principaux traumatism­es en cause.

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