Ottawa rate la cible
Depuis la Conférence de Paris sur les changements climatiques, l’expression est sur les lèvres de tous les politiciens. Il n’y a pas de plan B pour la planète… Et bla bla bla.
Au rythme où vont les choses, le Canada ne réussira jamais à atteindre les objectifs ambitieux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’il s’est fixés. Le monde entier n’y parviendra sans doute pas.
L’avalanche de mauvaises nouvelles tombées récemment a de quoi refroidir les ardeurs des plus optimistes. La planète vit « à crédit » depuis le 1er août, en ce sens que l’humanité a consommé la totalité des ressources disponibles, selon l’organisation Global Footprint Network. Au début des années 1970, le jour du dépassement était le 21 décembre. L’Agence nationale océanique et atmosphérique rapporte que les émissions de GES ont atteint un niveau record en 2017, sous l’effet de la combustion d’énergies fossiles, contribuant de ce fait au réchauffement planétaire et à des bouleversements environnementaux. Sur un plan plus anecdotique mais ô combien symbolique, huit des dix véhicules les plus vendus au Canada en 2018 faisaient partie de la catégorie des VUS et camions, une démonstration cynique que ni l’industrie automobile ni les consommateurs ne semblent préoccupés par la gravité de la situation.
Peut-on vraiment les blâmer ? Cette semaine, le gouvernement Trudeau a fait une brèche dans son régime de taxation des émissions de GES. Les libéraux ont cédé aux demandes de l’industrie lourde et des grands pollueurs. Ces industries auraient dû payer la taxe sur le carbone sur environ 30 % de leurs émissions de GES. La ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, a fait passer le seuil à 20 %, voire à 10 % pour les industries de certains secteurs d’activité soumis à une rude concurrence internationale. Ainsi, donc, les entreprises parmi les plus polluantes — les producteurs de ciment, de fer, d’acier de chaux et d’engrais azotés — figurent parmi les plus chouchoutés de la nouvelle politique.
Le gouvernement Trudeau assure que cette nouvelle mesure n’empêchera pas le Canada d’atteindre ses cibles de 2030 : les émissions de GES devraient passer de 722 à 517 mégatonnes. Mais il n’explique pas comment il y parviendra.
Sur le plan des communications, la sortie de la ministre McKenna est ratée sur toute la ligne. Les environnementalistes lui reprochent d’avoir plié devant les pressions de l’industrie et d’envoyer un message d’incohérence. Pour la Fondation David Suzuki, cette mesure compromet les efforts déployés par l’industrie et la société civile afin de lutter contre les changements climatiques, en plus de retarder la transition vers une économie sobre en carbone. Les détracteurs de la taxe sur le carbone ne sont guère plus satisfaits. Le recul partiel des libéraux prouve, aux yeux de l’Ontario et de la Saskatchewan, que la taxe sur le carbone a une incidence négative sur l’économie et qu’elle n’a pas sa raison d’être. Les deux provinces redoubleront d’efforts dans leur contestation juridique du régime fédéral.
Sur une note plus significative, le recul libéral a des relents passéistes. Il encourage le statu quo dans les industries fossiles, qui verront peu, ou pas, d’incitations à investir dans des technologies novatrices visant à réduire les GES. Ce faisant, l’essor d’une économie neutre en carbone est compromis. En ce sens, la ministre McKenna s’attarde trop aux conséquences néfastes de la taxe sur le carbone sur la compétitivité des industries, dans une ère trumpiste marquée par une outrancière déréglementation environnementale. Encore récemment, le président Donald Trump a suspendu l’application des normes antipollution imposées aux constructeurs, au grand dam de la Californie, pionnière en matière de lutte contre les GES. Est-ce bien là le phare que les libéraux ont choisi pour éclairer leur conscience environnementale ?
Il manque une grande inconnue dans le débat sur les coûts et les bénéfices de la taxe sur le carbone. Les économistes n’insistent pas assez sur l’analyse des impacts positifs potentiels sur le PIB qui résulteront de la naissance de nouvelles entreprises insérées dans une réelle économie sobre en carbone.
La Bourse sur le carbone n’est pas une panacée. À elle seule, elle ne permettra pas d’atteindre les objectifs de la Conférence de Paris, puisque cet instrument contribue, selon les évaluations de la Banque mondiale, à environ 15 % de l’effort de réduction des GES.
La Banque mondiale voit néanmoins d’un bon oeil ce régime de taxation adopté ou en voie de l’être par une cinquantaine de pays. Basées sur le principe du pollueur-payeur, les taxes sur le carbone ont généré 33 milliards sur la planète en 2017, en hausse de 50 %.
La taxe sur le carbone est une voie d’avenir, mais son application cohérente et uniforme exige un courage politique que les libéraux manifestent de moins en moins à l’approche du rendez-vous électoral de 2019.