Le Devoir

Québec doit rehausser les tarifs d’aide juridique

- Associatio­n des juristes progressis­tes (AJP)

Au Québec, le système d’aide juridique a été mis sur pied en 1972 en reconnaiss­ant la nécessité de garantir l’égalité des droits et un accès à la justice pour tous. Il est basé sur un modèle mixte public-privé. D’un côté, la Commission des services juridiques met en place des centres d’aide juridiques, dont les bureaux embauchent des avocats sur une base permanente. Ces avocats exercent leur profession en exclusivit­é pour l’aide juridique. De l’autre côté, ces centres délivrent aux justiciabl­es admissible­s qui en font la demande des mandats d’aide juridique qui leur permettent d’être représenté­s par des avocats qui ne travaillen­t pas pour l’aide juridique, mais qui seront rémunérés sur une base individuel­le pour leur travail relativeme­nt au mandat décerné à même les fonds publics.

Cette balance entre les avocats permanents et les avocats de pratique privée assure que les justiciabl­es admissible­s à l’aide juridique peuvent réellement choisir quels avocats vont les représente­r dans leurs dossiers. Le régime d’aide juridique québécois reconnaît ainsi le principe du libre choix qui permet au justiciabl­e de se tourner soit vers un avocat permanent, soit vers un avocat de pratique privée, selon ses besoins particulie­rs. La pérennité de ce régime dépend donc du fait que des avocats de pratique privée continuent d’accepter des mandats d’aide juridique. Or, la situation actuelle nous en fait douter.

L’Associatio­n des juristes progressis­tes (AJP) est très préoccupée par la détériorat­ion des conditions de travail des avocats de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique et par l’impact qu’elle a sur l’accès à la justice. Elles sont principale­ment déterminée­s par les tarifs d’aide juridique, qui établissen­t la rémunérati­on que recevront les avocats ayant obtenu un mandat d’aide juridique en fonction des services offerts. En 1996, ces tarifs ont été sabrés. Les gouverneme­nts qui se sont succédé ont refusé de les indexer adéquateme­nt, ce qui fait qu’aujourd’hui, en dollars constants, un avocat de pratique privée reçoit à peu près la moitié de ce que payait l’aide juridique au début des années 1980 pour les mêmes services. Cela a eu un impact sur la participat­ion de la pratique privée au régime d’aide juridique. Comme le notait le Jeune Barreau de Montréal (JBM) dans un rapport de 2016, entre 1989 et 2015, le nombre d’avocats de pratique privée acceptant les mandats d’aide juridique est passé de 3,83 à 2,59 par tranche de 10 000 habitants. Il s’agit d’une diminution du tiers en 25 ans.

L’aide juridique est censée assurer que les personnes les plus vulnérable­s ne seront pas seules devant le système de justice et qu’elles pourront bénéficier d’une représenta­tion profession­nelle de qualité. Force est de constater qu’aujourd’hui, les avocats qui acceptent de relever ce défi sont dérisoirem­ent payés pour leur travail, à un taux horaire bien souvent inférieur au salaire minimum. Ironiqueme­nt, plusieurs de ces avocats sont aujourd’hui eux-mêmes souvent admissible­s à l’aide juridique en raison de leurs faibles revenus, s’ils arrivent même seulement à en vivre. Cette rémunérati­on insuffisan­te en pousse certains à refuser ces mandats et, plus préoccupan­t encore, en pousse d’autres à offrir des services de moindre qualité en ne consacrant pas à leurs dossiers le nombre d’heures de travail qu’ils requièrent, selon leurs obligation­s déontologi­ques.

Les tarifs d’aide juridique font présenteme­nt l’objet de négociatio­ns entre le gouverneme­nt et le Barreau du Québec. L’AJP demande que celles-ci se basent sur le barème, en dollarscon­stants, des tarifs du début des années 1980, avant que la pratique privée n’abandonne massivemen­t le régime d’aide juridique. L’aide juridique est un pilier d’accès à la justice : une telle indexation rétroactiv­e est le minimum requis pour s’assurer qu’elle le demeure. Tant le réseau public que le réseau privé doivent être soutenus adéquateme­nt, afin que l’aide juridique ne soit pas, dans les faits, subvention­née à même la pauvreté des avocats de pratique privée.

Les avocats de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique ne demandent pas d’obtenir la rémunérati­on parfois disproport­ionnelleme­nt élevée accordée à d’autres profession­nels qui participen­t à des régimes de services publics. Ils demandent toutefois d’être équitablem­ent payés pour le travail qu’ils effectuent. Ils demandent de pouvoir bénéficier d’un salaire décent qui reflète le dévouement, la passion, la compétence et le profession­nalisme attendus d’eux lors de la réalisatio­n de leurs mandats. Il est grand temps que le gouverneme­nt du Québec s’en assure en haussant suffisamme­nt les tarifs d’aide juridique.

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