Le financement politique, le nerf de la guerre, vraiment ?
Le récent article de Marc-André Bovet, intitulé « L’argent, le nerf de la démocratie » (Le Devoir, 1er août), tombe à point puisque nous sommes déjà plongés en précampagne électorale, qui sera officiellement lancée à la fin du mois d’août. Cependant, certaines propositions pour améliorer le financement politique soumises dans cet article méritent d’être précisées ou nuancées.
Tout d’abord, le titre même de l’article, comme quoi l’argent est le nerf de la démocratie, m’a fait sursauter, moi qui ai toujours cru que la démocratie reposait essentiellement sur les citoyens et les citoyennes. Même en considérant le mot « nerf » selon son sens figuré, soit ce qui est à la base d’une action efficace, je ne crois pas que l’argent soit la seule ou la plus importante base d’une action démocratique efficace, sauf peut-être en période de «guerre électorale», et encore ! Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’argent n’a pas d’impact en politique et en démocratie.
D’entrée de jeu, il importe de rappeler en quelques lignes les grandes étapes du financement politique pour mieux comprendre où nous en sommes à l’heure actuelle. C’est en 1963 que le gouvernement libéral de Jean Lesage fait adopter une loi pour contrôler les dépenses électorales en établissant un plafond à ces dépenses, sans toucher toutefois au financement, de telle sorte que les caisses électorales occultes ont toujours leur place. Sous le gouvernement péquiste de René Lévesque est adoptée, en 1977, une loi sur le financement des partis politiques qui interdit les contributions des personnes morales et qui fixe à 3000 $ le montant maximum qu’un individu peut verser à chacun des partis. Cette somme peut paraître exorbitante aujourd’hui, mais il faut avoir à l’esprit que l’on partait d’une situation de « bar ouvert » où tout était permis. Réduire ce « bar ouvert » à 3000 $ constituait une avancée majeure à l’époque.
Mais cette loi a ensuite été contournée de différentes façons, en particulier par du financement sectoriel et l’utilisation de prête-noms, ce qui a été reconnu surtout dans de grandes entreprises de génie-conseil et des compagnies de construction et dans de grands cabinets d’avocats. C’est dans ce contexte bien connu des années 2000 que fut adoptée, en 2010, la Loi anti-prête-noms qui abaissait à 1000 $ le montant total que peut verser un électeur à chacun des partis au cours d’une même année. En compensation, le projet de loi 118 augmentait la contribution de l’État de 0,50 $ à 0,82 $ (portée plus tard à 1,50 $).
Propriétaires de leurs partis
Finalement, après de vives discussions, les membres de l’Assemblée nationale, en 2012 sous un gouvernement péquiste, adoptent le projet de loi 2 qui réduit à 100$ la contribution d’un électeur à un parti politique et qui, par la même occasion, diminue le plafond des dépenses électorales (ce qui était souhaitable, à mon avis) et rehausse le financement public des partis (ce qui était inévitable, compte tenu de la diminution du montant d’une contribu- tion), tout en éliminant le crédit d’impôt accordé auparavant. En outre, ce montant de 100 $ est augmenté à 200 $ au cours d’une année électorale.
Comme le soulignait alors le ministre Drainville, parrain du projet de loi, il souhaitait que « les citoyens québécois redeviennent les propriétaires de leurs partis politiques » puisqu’il y a, ajoutait-il, beaucoup plus de citoyens qui ont les moyens de donner 100 $ que de donner 1000 $. On revenait ainsi à ce que souhaitait René Lévesque à l’époque, soit qu’il y ait un grand nombre de contributeurs qui donnent de petites contributions: c’est d’ailleurs ce que l’on a pu vérifier au Parti québécois durant les deux décennies suivantes.
Qui plus est, et ce point ignoré par Marc-André Bodet me semble primordial, le Directeur général des élections verse 2,50 $ pour chaque dollar donné à titre de contribution aux partis autorisés, jusqu’à concurrence d’un montant annuel de 20 000 $ par parti. Et ce montant est doublé lors d’élections générales.
Bref, je ne vois aucunement en quoi il est nécessaire d’augmenter ces montants, qui me semblent tout à fait suffisants, à la fois pour « survivre » en période préélectorale et pour mener à bien une campagne électorale, y compris pour les nouveaux partis, qui sont soumis aux mêmes règles et lois.
S’ils peinent à financer leurs activités, comme l’affirme Marc-André Bodet, c’est qu’ils doivent convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs propositions d’action (et ils disposent de différents moyens à cet effet), et non pas seulement compter sur la publicité électorale, et les convaincre, sinon d’adhérer à leur parti, du moins de les aider financièrement, d’autant plus que le financement public s’ajoutera à ces contributions.
C’est cela, le sens et l’essence de la démocratie : les citoyens sont à la fois les fondements et les garants de cette démocratie. À eux de s’investir (par différents moyens, dont l’argent) pour la maintenir.