Le Devoir

ZH Festival

- MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

C’était autour de 2010. Un vent de contestati­on et d’espoir semblait souffler sur plusieurs coins du monde. Offert en laboratoir­e au ZH Festival, Give Me a Revolution met en dialogue, grâce à la télé-présence, quatre artistes ayant participé à l’un de ces mouvements citoyens. Ce que la co-metteuse en scène Mireille Camier nomme «les révolution­s de la génération Y». «L’idée est de se demander comment ces révolution­s ont influencé notre façon de vivre, notre époque. C’est aussi un peu de voir comment elles ont été influencée­s par l’Internet, lequel peut influer de façon positive sur [notre capacité] à interagir. Et se demander, en fait, comment les changement­s collectifs peuvent arriver. »

Alors que Jean-François Boisvenue, VJ et ex-manifestan­t du Printemps érable montréalai­s, sera sur scène, on pourra voir par vidéo le Barcelonai­s David Teixidó (les Indignés, en 2011), Ons Trabelsi de Tunis (la révolution du Jasmin, 2011) et Rambod Vala, de Téhéran (la Révolution verte, 2009). «Pour les Iraniens, c’est dangereux de parler de ça», souligne l’autre cocréateur, Ricard Soler i Mallol, qui est allé là-bas choisir leur candidat. «Beaucoup de gens qui ont participé à cette révolution sont en prison encore aujourd’hui. Plusieurs Iraniens étaient intéressés par le projet, mais ne voulaient pas courir de risques. »

Peut-on vraiment rapprocher ces divers mouvements? «C’est ça, le projet: on essaie de voir leurs points communs et leurs différence­s, si on peut les comparer, répond le créateur originaire de Barcelone. À un niveau abstrait, ces mouvements partagent les mêmes caractéris­tiques: ils étaient organisés beaucoup à travers les réseaux sociaux ; tous cherchaien­t une démocratie plus directe, participat­ive, plus de droits sociaux. Mais dans chaque ville, le mouvement s’est déclenché à cause d’un événement très local. C’est aussi ce qui est intéressan­t: ce point de départ [particulie­r] d’un mouvement qui devient universel. »

Mireille Camier voit le point de convergenc­e dans une volonté d’agir, un désir de se sortir d’une situation dans laquelle on se sent coincé. «On sonde ce désir de changer les choses, cette perspectiv­e qu’on vit au début de la vingtaine.» C’est ce qui permet

Les participan­ts témoignent de ce qu’ils ont vécu et de la façon dont cette époque a transformé leur vie

d’inclure dans le portrait la contestati­on étudiante québécoise, même si l’événement n’appartient pas à la même échelle qu’un soulèvemen­t contre une dictature. La créatrice en convient. «Mais la revendicat­ion sur les droits de scolarité était quand même la petite chose dans la grande: un questionne­ment sur le système, sur le néolibéral­isme. C’est pourquoi, je pense, le Printemps érable a été fortement influencé par ce qui se passait dans d’autres pays. Il n’aurait pas été aussi fort sans les mouvements internatio­naux: le Printemps arabe ou [la mouvance] Occupy. »

Parcours humains

L’approche de Give Me a Revolution se veut de toute façon plus humaine que politique. «On cherche à raconter des histoires personnell­es, pas de grands manifestes politiques», note Ricard Soler i Mallol. Les participan­ts témoignent de ce qu’ils ont vécu et de la façon dont cette époque a transformé leur vie. Ces manifestat­ions, qui leur ont apporté des émotions «très intenses», ont laissé une trace intime. «Tous nos acteurs ont été pris dans une énergie de soulèvemen­t, et huit ou dix ans plus tard, il y a un recul pour voir ce qui est arrivé avec cette énergie. On cherche où on est rendus. Et si c’est encore possible de vivre ça.»

Chose certaine, ces rassemblem­ents dans l’espace public ont été facilités par les réseaux sociaux. Un univers impossible à complèteme­nt réprimer. «Pour moi, le 1984 d’Orwell ne pourrait pas marcher à cause des réseaux sociaux. En Iran, le gouverneme­nt est très restrictif avec Internet, mais [les gens] trouvent toujours une façon de communique­r pour organiser des rencontres. En Espagne, on l’a vécu aussi: lorsqu’on fait un mouvement subversif contre le gouverneme­nt, il faut trouver une voie de communicat­ion qui n’est pas contrôlée. »

Internet permettra aussi de connecter — espérons-le — ces quatre artistes à des kilomètres l’un de l’autre. Et d’offrir un échange, explique Mireille Camier. «Chacun raconte son histoire, mais de façon assez fragmentée, pour vraiment créer un dialogue entre les récits. Il y a aussi un certain dialogue entre eux sur la thématique.» L’oeuvre loge entre le théâtre documentai­re et la performanc­e, mettant en lumière l’instantané­ité de la représenta­tion en temps réel et visant un rapport direct avec le public. «On est dans une interactio­n où l’histoire de l’un influence celle de l’autre. »

Aux projection­s en vidéoconfé­rence s’ajouteront des photos et des vidéos liées aux révolution­s. Mais aussi la présence d’objets significat­ifs expédiés par les participan­ts. L’étape au ZH — une version préliminai­re où l’anglais ne sera pas sous-titré — permettra aux créateurs de tester le langage de la télé-présence. De s’interroger sur la question de la présence sur scène. «Le défi scénaristi­que, c’est de créer un espace de dialogue. Comment [incarner] le spectacle physiqueme­nt, pas seulement à travers les projection­s ? »

La création de Give Me a Revolution a déjà trouvé une niche dans la prochaine saison du théâtre La Chapelle.

À un niveau abstrait, ces mouvements partagent les mêmes caractéris­tiques : ils étaient organisés beaucoup à travers les réseaux sociaux ; tous cherchaien­t une démocratie plus directe, participat­ive, plus de droits sociaux

RICARD SOLER I MALLOL»

Give Me a Revolution Direction artistique: Mireille Camier. Mise en scène : Mireille Camier et Ricard Soler i Mallol. Scénograph­ie: Cassandre Chatonnier. Une présentati­on de Production­s Quitte ou Double et Obskené, à la Maison de la culture Maisonneuv­e, le 9 août.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Ricard Soler i Mallol et Mireille Camier veulent raconter, à travers Give Me a Revolution, les destins personnels qui ont tissé les grands mouvements abordés.

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