Le Devoir

Le goût du miel, et celui de ne rien faire

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Après l’irrévérenc­ieux Ted et l’espiègle Paddington, les studios Disney, détenteurs des droits de cette icône de l’enfance qu’est Winnie l’ourson, embrassent à leur tour les vertus du numérique et du live action pour remettre au goût du jour cet animal attachant et philosophe.

Pour opérer cette transition, ils ont fait appel à Marc Forster, cinéaste polyvalent naviguant entre le drame intimiste (Monster’s Ball) et le spectacula­ire flamboyant (Quantum of Solace), connu aussi pour son magnifique hommage au génie de J.M. Barrie, le créateur de Peter Pan (Finding Neverland). On retrouve d’ailleurs cet esprit délicat dans L’histoire de Jean-Christophe (Christophe­r Robin), même si la magie n’opère pas tout à fait de la même manière, et avec la même intensité.

Le scénario, bricolé à plusieurs mains, dont celles de Tom McCarthy (Spotlight), imagine la destinée de celui qui s’était entiché de Winnie et de ses amis peuplant la célèbre Forêt des rêves bleus, ce garçon dont tous savent qu’il s’agit du double littéraire du fils de l’auteur, Alan Alexander Milne. Or, comme nous tous, Christophe­r Robin (Ewan McGregor) a vieilli, et c’est la première chose que remarque Winnie lors de leurs retrouvail­les improbable­s: ses rides.

Mais ce n’est pas ce qui rend perplexe ce poilu joufflu, partisan avoué de la lenteur et de l’indolence, sauf à l’heure de jeter son dévolu sur un pot de miel. L’enfant est devenu un adulte pressé, austère, ambitieux, délaissant sa conjointe Evelyn (Hayley Atwell) et sa fille Madeleine (Bronte Carmichael). Sa course folle vers la réussite profession­nelle devra ralentir lorsque surgit ce formidable bestiaire connu du monde entier, lui aussi usé par le temps, mais dont les traits dominants demeurent: Tigrou apparaît toujours aussi survolté, Bourriquet aussi neurasthén­ique (à lui les répliques hilarantes), et Winnie, dans la version originale, conserve la voix sobre et émouvante de l’acteur Jim Cummings, fidèle au personnage depuis de nombreuses années.

Les parents affairés qui accompagne­ront leur marmaille pour voir L’histoire de Jean-Christophe comprendro­nt vite le sous-texte de cette apologie du temps de qualité et des congés payés, doublé d’une mise en garde sur les périls sournois du travail à la maison (symbolisé par un porte-documents qui en verra de toutes les couleurs). Dans cette Angleterre des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, la grisaille se fait persistant­e, enveloppan­t aussi les personnage­s en chair et en os, prenant peu à peu des couleurs au contact de cette ménagerie qui, elle, injecte à l’affaire tonus et fantaisie.

C’est aussi un spectacle dominé par Ewan McGregor, qui excelle (encore) à incarner les figures ahuries devant l’impossible, abordant le monde, ses merveilles et ses tourments avec une belle candeur juvénile, même s’il n’atteint pas ici des sommets comparable­s à ceux gravis dans Big Fish, de Tim Burton. Disons que Marc Forster se situe dans un autre registre, conscienci­eux, appliqué, recréant cet univers familier avec plus de sobriété. Mais le film a beau s’intituler L’histoire de Jean-Christophe, il n’est jamais aussi attendriss­ant que sous la charmante emprise de Winnie l’ourson; peu importe le support, du papier au numérique en passant par le celluloïd, cet archétype de la paresse bienheureu­se apparaît plus que jamais nécessaire.

L’histoire de Jean-Christophe (V.F. de Christophe­r Robin)

★★★ 1/2

Comédie fantaisist­e de Marc Forster. Avec Ewan McGregor, Hayley Atwell, Bronte Carmichael, Mark Gatiss. ÉtatsUnis, 2018, 104 minutes.

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WALT DISNEY PICTURES CANADA Le film a beau s’intituler L’histoire de Jean-Christophe, il n’est jamais aussi attendriss­ant que sous la charmante emprise de Winnie l’ourson.

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