Kanata : lettre à Simon Brault
Monsieur Brault,
Je suis avec un certain intérêt et à distance, puisque je n’habite pas au Canada depuis plus de 20 ans, tout ce débat qui entoure l’annulation de Kanata à Montréal. Je viens de lire vos commentaires, à titre de directeur du Conseil des arts du Canada, dans l’article de Mario Girard dans La Presse.
L’appropriation culturelle, à mon avis, est un phénomène non seulement normal, mais c’est l’histoire de l’humanité. Tous les peuples, vaincus ou vainqueurs, se sont livrés à ce recyclage des moeurs, des traditions, d’identités, etc. Les anciens Grecs ont largement puisé chez leurs voisins phéniciens et crétois ; les Romains ont fait de même et, plus près de nous, les anciens Canadiens (lire : habitants de la Nouvelle-France) se sont approprié certaines coutumes des Autochtones dès le début de la colonie (par exemple, la tradition de la cabane à sucre et du sirop d’érable). Il suffit de relire les auteurs Bacqueville de la Potherie, Lafiteau, Charlevoix et les autres pour le constater.
Mais l’exemple le plus patent d’appropriation culturelle au Canada demeure celui des Britanniques ou loyalistes américains qui, après la Conquête, se sont graduellement approprié l’identité des Canadiens, c’est-à-dire des vaincus restés sur place après la perte de la Nouvelle-France.
Les immigrants britanniques sont progressivement devenus « canadian », puis l’hymne national composé par Calixa Lavallée et la feuille d’érable (arbre absent des provinces de l’Ouest) ont suivi, jusqu’au point où les anciens habitants de la NouvelleFrance ont cherché à se doter d’une nouvelle identité dans les années 1970-1980 pour s’identifier comme Québécois. Devraiton obliger les Canadiens anglais à inviter systématiquement les Québécois pour parler de l’histoire du Canada, dans le but d’éviter l’appropriation culturelle du patrimoine de ceux que j’appelle les anciens Canadiens ? Non, ce serait ridicule…
L’histoire des Amérindiens au Canada n’est que tristesse, déchéance, acculturation. J’en conviens. Et je comprends aussi la mission du Conseil des arts du Canada. Cependant, je pense que la liberté d’expression des artistes devrait l’emporter, quitte à subir des protestations de vive voix lors des représentations. Seuls les débats font avancer les idées.
François Mandeville Le 1er août 2018