Le Devoir

À la recherche de sorties de crise après SLĀV et Kanata

- Denis Bussières Sociologue au Centre de recherche sur l’innovation sociale de l’UQAM

Si les controvers­es concernant l’annulation des spectacles SLĀV et Kanata se poursuiven­t, il y a lieu de commencer à réfléchir sur les possibles sorties de crise. En apparence, les deux débats peuvent être réunis sous le concept d’«appropriat­ion culturelle », mais chacune de ces controvers­es renvoie à une situation sociohisto­rique très différente, celle-ci ayant une incidence sur les solutions qui peuvent favoriser le règlement de la controvers­e.

Pour celle qui concerne Kanata, une dimension mise en avant par les créateurs et créatrices du spectacle et nombre de leurs défenseurs renvoie à la liberté de création. Celle-ci ne peut supporter aucune forme d’encadremen­t, sauf par les lois qui touchent à la liberté d’expression dans une société démocratiq­ue.

Dans le champ de la recherche scientifiq­ue, la liberté du chercheur est aussi une valeur centrale. Le chercheur doit effectuer son travail dans un cadre institutio­nnel qui ne brime pas sa liberté créative, car la recherche est un domaine où s’exerce également la créativité. Tout comme semble le vivre présenteme­nt le champ de la création artistique, le monde scientifiq­ue a vécu des moments de critique de cette liberté. On lui reprochait entre autres le peu d’égard qu’il portait aux personnes sujets des recherches, ou encore, en ce qui concerne les nations autochtone­s, de reproduire des démarches colonialis­tes en s’accaparant les savoirs autochtone­s.

Au fil des ans, cette liberté a été balisée par différents documents tant sur le plan internatio­nal (Déclaratio­n de Singapour) que national (Énoncé de politique des trois Conseils : éthique de la recherche avec des êtres humains) et provincial (Politique sur la conduite responsabl­e en recherche). Mentionnon­s aussi que toutes les recherches universita­ires doivent recevoir l’approbatio­n d’un conseil d’éthique de l’université où le chercheur a son point d’ancrage.

Ce niveau d’encadremen­t varie selon les pays, et les confrères et consoeurs français avec qui nous travaillon­s jugent parfois les balises canadienne­s et québécoise­s particuliè­rement contraigna­ntes. Tout cet arsenal de balises éthiques s’explique facilement si on pense, par exemple, à des recherches réalisées avec des personnes ayant subi du harcèlemen­t sexuel, et encore plus si ce sont des personnes mineures. Cet encadremen­t repose essentiell­ement sur trois principes énoncés dans le document canadien : « le respect des personnes, la préoccupat­ion pour le bien-être et la justice ».

Au Québec, les recherches réalisées avec des population­s autochtone­s profitent aussi d’un encadremen­t supplément­aire, énoncé dans le Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador. Aux principes mentionnés plus haut viennent s’ajouter trois valeurs fondamenta­les: «le respect, l’équité, la réciprocit­é ». Dans le champ de la recherche, on assiste donc à un aménagemen­t de la liberté du chercheur qui doit tenir compte dans sa pratique de certaines exigences éthiques.

Pour ce qui est des nations autochtone­s, la portée de ces balises repose essentiell­ement sur leur légitimati­on par les instances démocratiq­ues que se sont données ces nations. Au Québec, c’est l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador qui confère toute son autorité morale au document et, en l’absence d’une telle légitimati­on, l’effet de ces balises auprès des scientifiq­ues en serait grandement diminué.

Est-ce que le champ de la création artistique lié à des thématique­s qui touchent les peuples autochtone­s désire se doter d’un cadre relationne­l à l’exemple de celui que l’on retrouve au sein du champ scientifiq­ue ? À la suite de la controvers­e autour de Kanata, la question se pose. Si la réponse est positive, les processus adoptés par le domaine scientifiq­ue pourraient servir d’exemple. Or, les partenaire­s (artistes et Autochtone­s) doivent être conscients que l’élaboratio­n de ces cadres prend du temps et qu’ils s’accompagne­nt de structures pour leur mise en oeuvre.

Pour ce qui est de SLĀV ou de toute autre production artistique qui touche une problémati­que vécue par des groupes minoritair­es, il est difficile de distinguer un porteur de légitimité à l’exemple des nations autochtone­s. Les contours identitair­es de ces différente­s minorités sont souvent flous, et aucune organisati­on de la société civile ne peut prétendre en être le porte-parole ni se poser comme représenta­nte de l’ensemble d’une communauté.

Car les organisati­ons de la société civile ne parlent qu’au nom de leurs membres. Ainsi, la CSN ne s’exprime pas pour l’ensemble des travailleu­rs et travailleu­ses du Québec, mais bien au nom de ses membres. Ce principe s’applique à toutes les organisati­ons de la société civile, qu’elles soient de droite ou de gauche. La situation est différente pour les nations autochtone­s où la récente élection de M. Perry Bellegarde comme chef national de l’Assemblée des Premières Nations lui confère toute la légitimité pour discuter d’égal à égal avec les représenta­nts du gouverneme­nt canadien sur les sujets qui touchent les Premières Nations.

Pour ce qui est de la représenta­tion des groupes minoritair­es et de l’identifica­tion d’un ou de porte-parole, nous sommes donc, comme société, devant un défi démocratiq­ue, et il faudra faire preuve d’imaginatio­n pour créer un espace de dialogue où tous les partenaire­s seront porteurs de légitimité.

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