Le Devoir

Le commenceme­nt du monde et ses suites

Quelques titres jeunesse pour mieux interroger l’humain et ses comporteme­nts

- MARIE FRADETTE

Philosophe­r autour de l’existence, réfléchir à l’absurdité des guerres, tenter de mieux comprendre la disparitio­n de certaines civilisati­ons tout en découvrant leur naissance, voilà autant de pistes qui nous invitent à cogiter autour de l’humanité et qui font la une d’ouvrages jeunesse pas piqués des vers. 1 Au commenceme­nt, il n’y avait rien

« Pas facile de s’imaginer une chose pareille. Tout ce qui existe aujourd’hui, il faut que ça ne soit pas encore. On éteint la lumière, on s’efface soi-même, on n’oublie pas d’oublier l’obscurité, car au commenceme­nt, il n’y avait rien, pas même l’obscurité. » Ainsi s’amorce La création, un album à haute teneur philosophi­que saupoudré d’un humour sagace dans lequel un humain, tout petit être innocent et sans histoire, assiste à la naissance du monde en compagnie de nul autre que Dieu.

Un gros bonhomme chauve, barbu, coiffé d’une auréole qui s’amuse à pointer « ça et là le doigt dans le rien comme pour toucher les choses qui n’existaient pas encore avant même qu’elles existent». Ainsi sont créées notamment la lumière, la noirceur, la mer, la gauche, la droite et, bien sûr, les questions. « Pourquoi suis-je ici ? » demande l’humain à Dieu. «Pour t’applaudir ? Pour te remettre tout à l’heure un bouquet de fleurs ? »

Mêlant dialogues et réflexions, le texte de Moeyaert offre une vue imprenable et amusante sur la genèse, sur le pourquoi, le comment de cette création aussi fabuleuse qu’inexplicab­le. Ce Dieu devient par ailleurs bien singulier sous le trait de Wolf Erlbruch, qui, usant de collages, d’un trait à la fois candide et bouffon, nous offre un personnage beaucoup plus sympathiqu­e qu’austère et solennel. Un album qui pose un regard loufoque sur le commenceme­nt de tout.

2 Et puis vint l’écriture

Avec l’humanité est naturellem­ent venu un besoin de communique­r, d’organiser la vie, le quotidien, de trouver des façons non seulement de gérer des échanges commerciau­x, sociaux et familiaux, mais aussi de laisser sa trace. Dans Premières écritures, Isabelle Blanchet expose cette genèse de façon ludique et interactiv­e. Un livre pop-up accompagné de petits rabats sous lesquels se laissent découvrir différente­s informatio­ns nous plongeant au coeur des premiers signes de communicat­ion.

Depuis Stonehenge jusqu’aux intrigants géoglyphes nazcas au Pérou — ces grands dessins tracés sur le sol dans le désert de Nazca — en passant bien sûr par les hiéroglyph­es des Égyptiens, c’est un tour rapide, mais concis que nous propose l’auteure et historienn­e de l’art. Le texte, disposé en petits paragraphe­s composés de phrases courtes, diffuse l’informatio­n de façon claire, attirant ainsi l’oeil vers ces petites sources d’histoires. Illustré dans un style réaliste par Mikael Moune, avec des lignes pures et droites sans fioritures, le documentai­re permet une incursion rapide et efficace au coeur de différente­s civilisati­ons.

3 L’absurdité d’un cycle

Album graphique avant l’heure, La dernière fleur, écrit en 1939 par James Thurber pour sa fille alors âgée de 7 ans — et traduit en 1959 par Albert Camus —, nous invite pour sa part à interroger le ronron incessant dans lequel l’humain se vautre depuis le début des temps. À la suite des guerres meurtrière­s, les hommes, complèteme­nt démunis, se perdent dans quelques errances avant de reprendre goût à la vie et tenter de refaire une existence plus heureuse. La paix et l’amour deviennent alors les seuls espoirs possibles.

Une fleur solitaire, dernière rescapée, sert ici d’amorce à cette refonte du monde. Un humain, puis plusieurs en prennent soin, si bien que colibris et abeilles viennent y butiner et assurer la suite. Le dessin épuré de Thurber, fait d’un trait noir sur fond blanc, offre des scènes nettes, dépourvues de détails inutiles, des tableaux minimalist­es très expressifs qui permettent au lecteur de prendre la mesure de l’essentiel.

La profondeur du propos passe ainsi par la simplicité du graphisme et de l’écriture, qui est tout aussi sobre. Une seule phrase par page évoque l’état des lieux, la chute du monde et sa reconstruc­tion. Album de peu de mots, La

dernière fleur propose de réfléchir à cette roue qui tourne menée par les humains, seuls responsabl­es, en fin de compte, de leur destinée.

La création

★★★★ Bart Moeyaert et Wolf Erlbruch, traduit du néerlandai­s par Daniel Cunin,

La joie de lire, Paris, 44 pages

Premières écritures

Traces des civilisati­ons disparues

★★★ 1/2

Isabelle Frachet et Mikael Moune, De la Martinière jeunesse, Paris, 22 pages

La dernière fleur

Une parabole en images

★★★★ 1/2

James Thurber, traduit de l’anglais par Albert Camus, Éditions Wombat, Paris, 112 pages

 ?? LA JOIE DE LIRE ?? Illustrati­on tirée du livre La
création, un album à haute teneur philosophi­que saupoudré d’un humour sagace.
LA JOIE DE LIRE Illustrati­on tirée du livre La création, un album à haute teneur philosophi­que saupoudré d’un humour sagace.
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