Le Devoir

Une sentence trop lourde de conséquenc­es, juge Péladeau

Pierre Arcand estime qu’il est trop tôt pour décréter une exemption à la loi

- JESSICA NADEAU Avec les quelques faits que nous connaisson­s, on peut dire que ce ne sera pas facile JEAN-CLAUDE HÉBERT

Pierre Karl Péladeau n’est pas au bout de ses peines, et son combat pour préserver les contrats publics de Québecor est loin d’être gagné, estiment deux avocats consultés par Le Devoir.

« Je ne connais pas ses cartes, mais déjà, avec les quelques faits que nous connaisson­s, on peut dire que ce ne sera pas facile », résume l’avocat JeanClaude Hébert.

Dans un premier temps, l’homme d’affaires, qui porte en appel sa réponse à une accusation d’infraction à la Loi électorale, devra réussir à convaincre un juge de revenir à la case départ. C’est déjà un défi en soi, explique Me Hébert.

« Il y a des dispositio­ns qui permettent de faire un retour en arrière, mais évidemment, ça prend des motifs justificat­ifs très sérieux, sinon ce serait trop facile. Ce serait comme donner une deuxième chance au bâton. Tout le monde ferait ça quand ils trouvent que la peine est trop lourde. »

L’homme d’affaires ne pourra pas se contenter de dire qu’il a été mal conseillé, estime M e Hébert. « Ça a déjà été essayé et ça n’a pas passé aux yeux du juge. »

Le véritable problème, estime l’avocat, c’est que Pierre Karl Péladeau est « pris avec les déclaratio­ns publiques qu’il a faites ».

« À supposer qu’il réussisse à convaincre un juge qu’il a plaidé coupable trop vite et qu’il n’avait pas bien mesuré l’affaire, le premier obstacle, et ce que le Directeur général des élections va faire valoir, c’est qu’il est en train de plaider l’ignorance de la loi

« Or, tout le monde est censé connaître la loi — surtout lui, qui a participé à l’exercice d’écriture des lois au Parlement —, c’est un principe bien connu. Ce n’est pas gagné d’avance. Et donc, même si son plaidoyer est annulé, on peut se demander : il gagne du temps, mais ça mène où ? »

Rappelons qu’à la suite de son retrait de la vie politique, l’ex-chef du Parti québécois a affirmé avoir remboursé personnell­ement la dette de sa course à la chefferie, qui s’élevait à 137 000 $. Or, ceci est contraire à la Loi électorale, qui prévoit une contributi­on maximale de 500 $.

Contrats publics

En juillet dernier, M. Péladeau a plaidé coupable à cette infraction — il contestait toutefois le montant de l’amende —, mais a annoncé lundi soir qu’il faisait appel de cette reconnaiss­ance de culpabilit­é, réalisant les possibles impacts sur son entreprise Québecor.

En effet, la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) prévoit qu’une entreprise dont l’actionnair­e principal est reconnu coupable d’une telle infraction ne peut obtenir de contrats publics pour une période de cinq ans.

« Les conséquenc­es possibles découlant de mon plaidoyer initial ont été analysées et leur ampleur comprise de sorte qu’il apparaît que le but de la LCOP est diverti », a-t-il écrit sur sa page Facebook lundi soir.

Il affirme que la Loi visait à lutter contre la collusion et la corruption, ce qui n’est pas son cas. « Je n’ai jamais effectué de manoeuvres électorale­s frauduleus­es, manoeuvres pour lesquelles ces lois ont été instaurées. C’est tout le contraire. J’ai été transparen­t et j’ai payé mes dettes. »

L’UPAC, qui doit remettre un avis à l’autorité des marchés financiers (AMF), confirme avoir reçu le dossier du Directeur général des élections, mais explique que le traitement du dossier est suspendu, puisque M. Péladeau a porté en appel sa réponse à l’accusation. De son côté, l’AMF réserve ses commentair­es dans l’attente de cet avis. Québecor a également décliné la demande d’entrevue du Devoir.

Exemption ?

Dans son message lundi, Pierre Karl Péladeau demandait l’aide du Conseil du trésor et du premier ministre afin qu’il décrète « une exception à l’applicatio­n automatiqu­e et sans nuance de la Loi », et ce, dans une perspectiv­e de « justice tant pour Québecor et ses milliers d’employés que pour ses clients et ses partenaire­s ».

Questionné à cet effet, le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand, estime qu’il est trop tôt. « C’est devant les tribunaux. […] On va attendre [leur] décision. On regardera par la suite ce qui arrive au niveau de la loi », s’est-il contenté de dire.

L’avocat et professeur en droit public à l’ENAP Nicholas Jobidon donne en partie raison à l’ex-chef péquiste, affirmant que « la Loi n’a pas été mise en oeuvre avec ce genre de cas là en tête ». Mais il émet toutefois une mise en garde, rappelant que s’il n’y a « pas de soupape directe dans la Loi » pour une entreprise qui voudrait se soustraire à la Loi, c’est pour éviter qu’un éventuel gouverneme­nt corrompu puisse continuer à donner des contrats à une « entreprise amie » frauduleus­e.

«L’Assemblée nationale pourrait adopter un amendement d’urgence, mais si on modifie la Loi sans réfléchir, on risque de créer une brèche importante qui pourrait créer de plus gros problèmes à long terme que les problèmes que l’on résout à court terme. » Avec Marco Bélair-Cirino

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Pierre Karl Péladeau, alors candidat à la chefferie du Parti québécois en janvier 2015

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