La preuve que la loi fonctionne, selon des ex-DGE
Les cas Péladeau et O’Leary sont la preuve que les riches ne peuvent s’acheter un passage en politique
Kevin O’Leary, qui avait tenté de se faire élire chef du Parti conservateur en 2017, a encore deux ans pour rembourser 530 000 $
L’homme d’affaires Pierre Karl Péladeau conteste la contravention dont il a écopé après avoir remboursé de sa poche ses dettes accumulées lors de sa course à la chefferie. Le millionnaire Kevin O’Leary songe à contester la validité de la Loi électorale fédérale qui lui interdit d’éponger sa dette de leadership.
Ces deux richissimes endettés de la politique tentés de contourner les règles sur le financement populaire traduisent-ils une faille dans le système ? Deux anciens directeurs généraux des élections croient au contraire qu’ils sont la preuve de l’efficacité des lois en place.
À Ottawa comme à Québec, les courses à la chefferie doivent être financées à même des dons provenant d’électeurs, plafonnés à 1575 $ par année au fédéral et à 500 $ par campagne au provincial.
Un candidat à la direction peut aussi contracter un prêt, mais il doit le rembourser grâce à des contributions individuelles. Au fédéral, un candidat a en plus le droit de contribuer à sa campagne pour un montant de 25 000 $.
Les candidats disposent de trois ans après la fin d’une course pour rembourser leurs dettes. L’échéance est arrivée ce printemps pour Pierre Karl Péladeau, qui traînait encore un boulet de 135 500 $. Il a remboursé lui-même la somme, ce qui lui a valu une amende salée.
Kevin O’Leary, qui avait tenté de se faire élire chef du Parti conservateur en 2017, a encore deux ans pour rembourser 530 000 $. Il redouble d’imagination pour solliciter des fonds: il propose un « troc » de dons : pour chaque contribution politique reçue, il verse un montant équivalent à un fonds destiné aux athlètes olympiques.
Failles colmatées
Autant Marc Mayrand que Jean-Pierre Kingsley, deux anciens patrons d’Élections Canada, rejettent la thèse que ces deux cas sont la preuve que les riches peuvent s’acheter un passage en politique.
« Au fédéral, les failles ont été colmatées », assure M. Mayrand. M. Kingsley abonde dans son sens. «Il y avait un trou dans la loi en 2006, mais le gouvernement a introduit des dispositions et c’est la raison pour laquelle M. O’Leary a de la difficulté aujourd’hui. »
Après la course à la chefferie libérale de 2006, plusieurs candidats s’étaient retrouvés lourdement endettés. Quatre d’entre eux — Ken Dryden (225 000 $), Joe Volpe (97 800 $), Hedy Fry (69 000 $) et Stéphane Dion (7500 $) — n’avaient toujours pas remboursé sept ans plus tard.
M. Dryden et Mme Fry se devaient l’argent à eux-mêmes. Après avoir étudié la question, Élections Canada en était venue à la conclusion en 2013 que rien ne pouvait être fait contre eux.
« Les infractions ont été clarifiées en 2014 », se réjouit M. Mayrand, qui ajoute toutefois qu’elles « n’ont jamais été testées en cour ». Il doute qu’un juge accepterait, comme le prévoit la loi, d’envoyer un politicien endetté trois mois derrière les barreaux.
Effets pervers
Les deux anciens DGE estiment que rendre le système encore plus contraignant, par exemple en limitant l’accès aux prêts, aurait des effets pervers sur la participation à la joute politique.
«Peut-être pourrait-on dire que les candidats n’ont pas le droit de contracter une dette supérieure à un certain pourcentage de l’argent qu’ils ont déjà amassé, évoque M. Kingsley. Mais ceux qui n’ont déjà pas beaucoup d’argent se retrouveraient encore plus bloqués. »
«Les règles sont suffisamment sévères. Je ne pense pas qu’on devrait aller plus loin, car on limiterait la participation », ajoute M. Mayrand.
Au fédéral, les prêts ne peuvent être contractés qu’auprès d’une institution financière. Si une garantie est exigée, elle doit être fournie par autant d’électeurs nécessaires pour que la somme de leur plafond de contribution respectif (1575$) totalise le montant du prêt.
Un prêt de 1,6 million requerrait par exemple un endossement d’un millier de donateurs.
« La seule solution que je vois, c’est de réduire les coûts des courses », conclut M. Mayrand, qui reconnaît du même souffle que les concours électoraux coûtent cher au Canada en raison de l’étendue du territoire.
À Québec comme à Ottawa, les plafonds de dépenses des courses au leadership sont établis par les partis et non par le directeur général des élections. Ce sont ces limites, en bout de piste, qui assurent l’équité du processus, estime M. Kingsley. « Ce n’est pas un level playing field, c’est un level playing plafond ! »