Le Devoir

Surchauffe ou collusion ?

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Deux années et demie après le dépôt du rapport de la commission Charbonnea­u, Québec annonce la tenue de « chantiers de réflexion » qui seront suivis par la création d’une nouvelle « grappe » regroupant les acteurs de l’industrie de la constructi­on. L’objectif de la démarche : « développer une culture collaborat­ive » au sein de cette industrie.

Les esprits cyniques diront que la commission d’enquête avait précisémen­t pour but de mettre fin à une telle culture « collaborat­ive » entre firmes de génie, entreprene­urs et politicien­s.

Lundi, jour même de cette annonce, Radio-Canada nous apprenait que la Ville de Montréal faisait face à une explosion des coûts pour certains projets d’infrastruc­tures. Dans le cas particulie­r de la réfection de la rue Sainte-Catherine, un seul soumission­naire aurait répondu à l’appel d’offres avec un prix 170 % plus élevé que ce qui était attendu. Dans d’autres cas, l’augmentati­on serait de 200 % supérieure aux prévisions. Y aurait-il eu collusion dans le but de réduire le nombre de soumission­naires, de se partager les contrats et d’augmenter les prix ? Auquel cas les différente­s mesures mises en place depuis la commission Charbonnea­u n’auraient servi à rien. Ne concluons pas trop vite. Après tout, il existe aujourd’hui des mécanismes de vérificati­on que l’on dit efficaces, comme le Bureau de l’inspecteur général (BIG) qui peut mettre son nez dans les dossiers pour y déceler les signes avant-coureurs de malversati­on.

Puis, bien d’autres facteurs peuvent expliquer ce qui se passe, à commencer par le nombre de chantiers qui ne cesse de croître, la complexité de certains d’entre eux et les exigences plus grandes quant aux échéances et aux conditions d’exécution des contrats. Pour éviter les extras, on soumission­ne plus haut, point. Et comme tout le monde travaille, il est devenu inutile de réduire les prix pour remporter la mise.

À cause de la faiblesse de la reprise qui a suivi la récession de 2008-2009 et du retard considérab­le accumulé dans la mise à niveau des infrastruc­tures, les trois ordres de gouverneme­nt ont annoncé des plans d’investisse­ments à long terme dont la multiplica­tion des cônes orange n’est que le résultat anecdotiqu­e.

L’industrie de la constructi­on n’a pas dérougi depuis dix ans et les grandes villes comme Québec, Laval et Montréal en paient le prix au moment d’entreprend­re leurs propres travaux.

À Montréal, l’administra­tion Plante envisage de modifier certaines règles d’attributio­n pour favoriser la formation de consortium­s de petits entreprene­urs qui ne peuvent pas s’attaquer individuel­lement à des projets d’envergure. L’idée n’est pas bête, mais elle pose d’autres problèmes, comme la coordinati­on de tels travaux complexes et le respect des échéances, sans parler de la formation même des consortium­s qui a été à l’origine de la collusion dans le partage des contrats entre les firmes de génie et quelques grands entreprene­urs.

L’industrie de la constructi­on, ce sont 150 000 emplois et près de 45 milliards de dollars en travaux annuelleme­nt. La vaste majorité des entreprise­s ne sont actives que localement, mais quelques-unes d’entre elles sont aussi présentes sur la scène mondiale.

SNC-Lavalin, pour reprendre l’exemple le plus connu, embauche à elle seule 50 000 personnes à travers le monde. Ses démêlés avec la justice lui ont causé un tort considérab­le, ici et à l’étranger. Ses nouveaux dirigeants ont compris la leçon et travaillen­t sérieuseme­nt à rétablir la réputation de la firme auprès des organisati­ons internatio­nales.

Le Québec et Montréal en particulie­r ont besoin des sièges sociaux de ces sociétés en mesure de réaliser des projets d’envergure et d’embaucher des experts formés dans nos université­s.

Malgré la politique protection­niste de Donald Trump, la concurrenc­e est aujourd’hui mondiale et des grandes entreprise­s étrangères font partie de consortium­s qui remportent la mise lors d’appels d’offres locaux. Cette concurrenc­e est vive et l’épisode de la commission Charbonnea­u a nui à notre réputation.

Pour cette raison, il faut reconnaîtr­e l’intérêt de créer une « grappe » de la constructi­on à laquelle tous les acteurs de ce secteur, syndicats, profession­nels et entreprene­urs, seront appelés à participer. Le temps est venu pour cette industrie de grande importance de prendre un nouvel élan en misant sur la compétence de sa main-d’oeuvre et la complément­arité de ses joueurs. En espérant qu’elle a retenu les leçons tirées des années de petites et de grandes magouilles qui ont fait qu’elle est toujours sous surveillan­ce.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada