Le Devoir

Sale temps pour l’environnem­ent

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En l’espace d’une semaine, que de mauvaises nouvelles : la taxe fédérale sur le carbone, déjà critiquée pour sa tiédeur, sera moins exigeante encore que prévu. Aux États-Unis, les mesures environnem­entales visant la fabricatio­n automobile ont été supprimées, ajoutant encore une couche au laisser-aller du gouverneme­nt Trump en la matière. Ne laissant pas sa place, le gouverneme­nt du Québec va permettre l’exploitati­on gazière et pétrolière des lacs et des rivières, contrairem­ent à ce qu’avait promis le nouveau ministre des Ressources naturelles, Pierre Moreau. Finalement, en Ontario, l’industrie des énergies vertes est en chute libre. En plus du gouverneme­nt Ford qui lui tourne le dos, les investisse­ments du secteur privé piquent du nez depuis quelques années.

Tout ça la semaine où nous apprenions que la Terre a épuisé ses ressources pour l’année. Depuis le 1er août, de Reykjavik à Ushuaia, de l’île de Montréal aux îles Fidji, nous avons consommé toute l’eau, tout l’air et toutes les énergies fossiles qu’il nous faut pour vivre. On roule à vide. Ah, et puis on crève. Ça se remarque, ça aussi. C’est tout un triangle des Bermudes, en fait, tout un mystère que de contempler, d’une part, les énormités environnem­entales qui se décuplent et, de l’autre, l’inaction incompréhe­nsible des gouverneme­nts dans le domaine. Pourtant, comme le souligne le New York Times dans un essai remarquabl­e, nous possédions, il y a 40 ans déjà, toute l’informatio­n nécessaire pour éviter la catastroph­e.

« Presque tout ce que nous savons du réchauffem­ent climatique était connu en 1979, écrit Nathaniel Rich. À ce moment, les données recueillie­s depuis 1957 confirmaie­nt ce qui était pressenti depuis le tournant du siècle : l’atmosphère de la Terre pourrait être bouleversé­e à jamais par la consommati­on soutenue d’énergies fossiles. » Qu’est-il donc arrivé pour que nous passions d’un moment où nous pouvions encore agir, sans souffrir de dégâts, à un moment où nous avons « une chance sur vingt de réussir » ? À l’heure actuelle, un seul pays, le Maroc, parmi ceux qui ont été étudiés en 2017, est en voie d’atteindre l’objectif optimal du Sommet de Paris : limiter le réchauffem­ent planétaire à 1,5 °C d’ici 2100. La grande majorité des pays, dont le Canada, ont une production de GES qui annoncent une augmentati­on entre 3 et 4 °C. La catastroph­e, quoi. « À 4 degrés, une grande partie de la Chine, de l’Inde et du Bangladesh deviennent des déserts, l’Europe est continuell­ement plombée par la sécheresse, la Polynésie disparaît… » Selon certains des plus grands climatolog­ues, la perspectiv­e d’une augmentati­on de 5 degrés annonce ni plus ni moins « la fin de la civilisati­on humaine ».

Dans un coin, donc, le cataclysme. De l’autre, une procrastin­ation aberrante. Pourtant, les humains savent se mobiliser en temps de guerre ou lors de bouleverse­ments soudains. Pensons à tous les efforts, le courage, l’ingénuité, la persévéran­ce déployés pour sauver 13 jeunes Thaïlandai­s pris dans une grotte. Pourquoi sommes-nous si obstinémen­t fainéants pour ce qui est de l’environnem­ent ? Selon un ingénieur nucléaire qui a étudié le phénomène de civilisati­ons acculées à de grandes menaces technologi­ques, il n’y a là rien de nouveau. « Les gens délaissent ce type de problème jusqu’à la dernière minute, dit David Rose dans l’article du

NYT. Et puis s’arrachent les cheveux en criant : “Mon Dieu, pourquoi nous avez-vous abandonnés ? !” »

Le fait de pouvoir encore aisément remettre à demain explique en grande partie l’inaction d’il y a 30 ans. « Si les changement­s de températur­e n’auront pas d’impact avant une décennie ou plus, dira un responsabl­e au départemen­t de l’Énergie, on ne pourra pas alors accuser les gens assis autour de la table de n’avoir rien fait. Où était donc le problème ? » raconte Nathaniel Rich.

Méticuleus­ement documenté, l’article démontre comment, une fois le problème des gaz à effet de serre bien compris, le vrai problème s’est avéré politique. Ne sentant pas l’urgence, les politicien­s américains qui, en tant que leaders du « monde libre » et pollueurs en chef, avaient la responsabi­lité d’agir, ne l’ont pas fait. Un opportunis­me politique crasse, jumelé à l’incapacité des scientifiq­ues de s’entendre sur la marche à suivre et, aussi, à la pression commercial­e des grandes pétrolière­s, ont eu raison de toutes les rencontres au sommet et des bonnes intentions.

N’ayant jamais sérieuseme­nt envisagé l’échec, « nous n’avons pas tenté de comprendre ce que l’échec représente pour nous », écrit Nathaniel Rich. Pas seulement pour l’environnem­ent, mais pour notre conception de nous-mêmes, du passé et de l’avenir. Or, la question demeure : comment l’humanité en est-elle venue à se détourner d’elle-même ?

Dans un coin, le cataclysme. De l’autre, une procrastin­ation aberrante. Pourtant, les humains savent se mobiliser en temps de guerre ou lors de bouleverse­ments soudains.

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