Le Devoir

La valeur de la parole

La revue XYZ m’a permis de continuer à vivre

- Daniel Gagnon

Écrivain, membre fondateur de la revue

XYZ et de l’Union des écrivaines et écrivains québécois

Comme membre fondateur de XYZ, je trouve désolant de voir souffler sur la revue de la nouvelle un vent froid d’épuration et d’inculture. L’attaque récente contre la revue montre une grande ignorance de l’art, une profonde incompréhe­nsion de la vérité nécessaire en art.

Je viens moi-même du silence, j’ai beaucoup souffert du silence et j’en souffre encore. Je me sens très proche du mouvement #MoiAussi, car j’en suis, et je sais qu’au moment où j’écris ces lignes, des centaines et des centaines d’enfants, comme moi dans mon enfance, sont agressés dans le secret des chambres et des endroits clos de toutes sortes, car ces viols constants et systématiq­ues ont lieu dans les ténèbres du silence et de la clandestin­ité, souvent au coeur même de la famille, grâce à l’omertà terrible qui y règne, grâce au tabou qui permet aux agresseurs de continuer à perpétrer leurs crimes.

Quand je me suis joint à l’équipe fondatrice de la revue littéraire en 1986, nous avions l’espoir de sortir un peu de ce silence imposé par une société frileuse et gouvernée encore par des forces ténébreuse­s et négatives. Nous étions heureux de créer un espace de liberté d’expression, mais surtout un espace de création, un espace où les terribles interdits qui nous étouffaien­t pouvaient enfin être levés partiellem­ent, afin d’aller vers une libération de nos émotions, vers l’espoir d’aimer vraiment dans la vérité des sentiments et des choses.

Quel qu’ait été notre parcours personnel, nous avions tous dans notre coeur un désir profond de parole. C’était le vrai sens de notre implicatio­n et de notre espoir. Tout au long des années, nous avons publié les plus belles nouvelles d’écrivaines et écrivains du Québec, en restant toujours attachés aux valeurs de la parole, tous fortement ligués et coalisés contre le silence qui tue, contre le silence assassin qui, sous des dehors de pureté grandiose, sape les valeurs de justice et de démocratie.

Je viens du silence et je pense à tous ces enfants muets de terreur en ce moment, agressés dans le secret, qui n’ont pas droit à la parole, qui n’ont pas le droit de dire le viol. Je pense à cet immense bâillon qu’une société sournoise met en ce moment sur eux. Je pense à la faillite lamentable de tout notre système juridique qui autorise par sa léthargie et sa complicité ce silence de mort.

Eh quoi ? En art maintenant, on va éteindre les derniers espoirs de la parole ? Quand on bannit des mots, on garde au caveau du silence tous ces cris rentrés, tous ces cris de souffrance. Quand on censure des scènes, on permet à l’agression de se perpétuer et à la bonne conscience d’une société complice de dissimuler encore et encore les crimes contre nos êtres chers, contre notre jeunesse et contre notre avenir.

La revue XYZ ne m’a pas, par son espace de création, redonné mes années perdues d’enfance, mais elle m’a permis de continuer à vivre, car l’art sauve, l’art permet de respirer, et quand les artistes respirent, toute la société respire. L’art permet de garder une liberté de vivre et par le fait même de garder le sourire, de croire en la joie de vivre.

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