Un festival du pot à Trois-Pistoles
L’événement est salué par les experts, mais révèle des enjeux liés à la culture du cannabis
Le premier festival québécois sur le cannabis, qui doit se dérouler à TroisPistoles les 1er et 2 septembre, à un peu plus d’un mois de la légalisation, risque d’être le premier d’une série d’événements qu’il faudra surveiller de près, jugent des experts.
C’est un mélange de conférences et de spectacles de musique que propose la petite équipe de Mikael Rioux — fondateur et porte-parole du festival du Bon Plant — pour redorer l’image de la plante auprès des festivaliers, et écorcher au passage le modèle de production « industriel » de cannabis et l’interdiction québécoise d’une culture à domicile.
Aucune vente ou distribution de l’événement ne sera permise, indique au Devoir M. Rioux. Il explique avoir fait appel aux services d’une avocate pour éviter d’enfreindre les lois actuellement en vigueur. Il a ainsi gommé toute feuille de pot de son logo et opté pour un nom plus évasif. Aussi, il n’a signé avec aucun commanditaire, ni obtenu d’aide financière de la municipalité, espérant faire ses frais avec la vente de billets.
« Il n’y a rien qui interdit ça pour l’instant, mais on pense à long terme, dit-il. Ce ne sera plus possible après l’entrée en vigueur de la loi en octobre prochain », ajoute celui qui espère renouveler l’expérience dans les années à venir.
Dès le 17 octobre — date à laquelle le cannabis récréatif sera autorisé partout au pays —, Québec entend serrer la vis aux compagnies qui useront d’inventivité pour se faire connaître auprès du public. Toute « publicité directe ou indirecte » sera interdite. Et pour les commandites, ce sera également tolérance zéro.
Surveillance
« J’avoue que [le festival du Bon Plant] ne nous a pas particulièrement inquiétés, indique Robert Perreault, expert en médecine préventive à la Direction de santé publique (DSP) de Montréal. On est beaucoup plus soucieux de voir évoluer la grosse industrie du cannabis, dans le contexte où il y a énormément de restrictions relatives à la publicité. »
Le psychiatre note en effet «beaucoup de tentatives » des producteurs de cannabis médicinal pour les contourner. « La plupart de ces sociétés-là sont cotées en bourse. Et la logique d’une société cotée en bourse, c’est d’augmenter la valeur pour les investisseurs. Alors, ils ne peuvent pas se limiter à fournir juste ce que la Société québécoise du cannabis va leur donner. »
M. Perreault note également que des acteurs de l’industrie commanditent d’ores et déjà des événements un peu partout au pays. Toronto a été l’hôte en mai d’une foire industrielle réunissant plusieurs acteurs du milieu : The Lift & Co. Expo. Et la métropole québécoise ne semble pas y échapper : les 26 et 27 octobre prochains, la foire Expo cannabis Montréal prendra d’assaut la place Bonaventure.
«Ce sont des événements extrêmement importants à superviser du point de vue de la santé », conclut le psychiatre.
Santé Canada s’inquiétait le mois dernier que certains producteurs de cannabis à des fins médicales commanditent des festivals de musique et se livrent à d’autres activités promotionnelles.
« Les agissements de certaines entreprises ont mis en évidence la nécessité de prévoir des interdictions dans la Loi et de les faire respecter rigoureusement », faisait savoir l’agence par communiqué.
Consommation
« C’est incroyable, la vitesse à laquelle se créent des initiatives sur le cannabis », lance Pierre Brisson, spécialiste en toxicomanie. Celui qui a fait partie du comité d’experts consulté par Québec pour élaborer son projet de loi 157 salue la programmation « très bien faite » du Bon Plant, qu’il juge axée sur l’éducation davantage que sur la consommation. «Mais je ne dirais pas la même chose pour tout ce qui se passe en ce moment alors que ça va tellement vite. »
M. Brisson cite en exemple la récente union entre le géant de la bière Molson Coors Canada et le produc- teur de marijuana HEXO pour créer des boissons non alcoolisées à base de cannabis.
« Ce qu’on ne veut pas, c’est que ça devienne un produit avec un statut comme l’alcool : avec des publicités associées à des styles de vie pour faire grimper les profits », dit-il. Et d’ajouter: «Il va y avoir de l’appropriation commerciale du cannabis, et les jeunes n’attendent que ça. »
Le chargé de cours à l’Université de Sherbrooke juge essentiel que des campagnes d’information et de sensibilisation voient rapidement le jour pour éviter ce « glissement néolibéral ». « Il va falloir un contrepoids à la pression de tous les gens qui vont vouloir faire une piasse avec ça. »
De son côté, Guillermo Aureano, chercheur au CERIUM, ne croit pas que ces événements ouvrent la porte à une consommation excessive de cannabis. Il prend en exemple les événements axés sur la dégustation de vin.
« Il n’y a pas, à ma connaissance, de festival sur la défonce pour l’alcool », laisse-t-il simplement tomber.