Monsanto aurait dû adopter un principe de précaution
La science ne se règle pas à la cour de justice, mais la responsabilité des entreprises, si. Le récent jugement dans l’affaire Dewayne Johnson contre Monsanto ne scelle pas le débat scientifique sur le glyphosate, mais il suggère que le géant de l’agrochimie aurait dû adopter le principe de précaution pour mieux protéger son client.
Vendredi dernier, la Cour supérieure de la Californie a condamné Monsanto à dédommager à la hauteur de 289 millions de dollars américains un jardinier atteint d’un cancer apparemment causé par les herbicides à base de glyphosate de la multinationale. Le plaignant, Dewayne Johnson, souffre d’un lymphome non hodgkinien et les médecins lui donnent moins de deux ans à vivre.
« La littérature scientifique n’explique pas comment les herbicides à base de glyphosate provoquent des lymphomes non hodgkiniens, mais on voit tout de même une association au niveau épidémiologique », affirme Élyse CaronBeaudoin, toxicologiste et postdoctorante en santé publique à l’Université de Montréal. « Il n’y a pas de consensus, mais il y a suffisamment de petits drapeaux rouges pour adopter le principe de précaution », juge-t-elle.
«Très clairement, le glyphosate et ses adjuvants [les autres substances qui entrent dans la composition du Roundup] sont des substances cancérigènes », déclarait d’ailleurs le Dr William Robert Sawyer, expert en toxicologie témoignant au procès californien. « Les additifs augmentent la cancérogénicité du glyphosate par plusieurs mécanismes », ajoutait-il.
Depuis quelques années, les grandes agences environnementales et sanitaires se divisent sur la question des herbicides à base de glyphosate comme le Roundup. Des études sur des cellules humaines et des souris ont montré un effet cancérigène, mais les conséquences dans un contexte réel sont moins claires. En toxicologie, tout est affaire de dose. Or, dans le cadre de son travail, M. Johnson était exposé à de très fortes doses d’herbicide. Il en aspergeait de grandes quantités à partir d’un réservoir de 200 litres fixé à son camion. Le vent soufflait parfois le produit dans sa direction, en enduisant son visage, a rapporté son avocat.
Selon le verdict, Monsanto aurait mal protégé M. Johnson en n’insistant pas assez sur les risques que représente une forte exposition à ses herbicides. La « négligence » de la multinationale a significativement contribué aux préjudices du jardinier de 46 ans, tranchait le jury.
La maladie de M. Johnson aurait pu être évitée, remarquait le Dr Sawyer lors de l’audience. « S’il y a des avertissements clairs, si les utilisateurs savent qu’ils ont affaire à un cancérigène et qu’il est utilisé en quantités limitées sans produire des aérosols qui circulent dans l’air, alors [les herbicides à base de glyphosate] peuvent être utilisés [de manière sécuritaire]. »
Auteurs fantômes
Le jury s’est aussi entendu pour dire que « des preuves claires et convaincantes montrent que Monsanto a agi avec malveillance ou oppression ». Au procès, de nombreux documents mis au jour en juin 2017 par le journal Le Monde, surnommés les « Monsanto papers », ont convaincu le jury de la mauvaise foi de l’entreprise. Au deuxième jour de l’audience, le 10 juillet, l’avocat du plaignant a réalisé un interrogatoire très serré avec William Heydens, le responsable de la sécurité des produits chez Monsanto, dont les pratiques peu intègres avaient été mises en lumière dans les « Monsanto papers ».
M. Heydens aurait organisé la rédaction d’un article scientifique par des « auteurs fantômes », employés de Monsanto, avant de demander à des chercheurs externes d’y apposer leur signature. Cette supercherie avait pour objectif de répondre au Centre international de recherche sur le cancer, une agence qui dépend de l’ONU, qui classait le glyphosate « cancérogène probable », en mars 2015.
Samedi, Monsanto et son propriétaire, Bayer, ont défendu l’innocuité du glyphosate et ont indiqué qu’ils porteraient la décision en appel. Plus de 4000 plaintes similaires à celle de M. Johnson sont en attente.