Le Devoir

Monsanto aurait dû adopter un principe de précaution

- ALEXIS RIOPEL

La science ne se règle pas à la cour de justice, mais la responsabi­lité des entreprise­s, si. Le récent jugement dans l’affaire Dewayne Johnson contre Monsanto ne scelle pas le débat scientifiq­ue sur le glyphosate, mais il suggère que le géant de l’agrochimie aurait dû adopter le principe de précaution pour mieux protéger son client.

Vendredi dernier, la Cour supérieure de la Californie a condamné Monsanto à dédommager à la hauteur de 289 millions de dollars américains un jardinier atteint d’un cancer apparemmen­t causé par les herbicides à base de glyphosate de la multinatio­nale. Le plaignant, Dewayne Johnson, souffre d’un lymphome non hodgkinien et les médecins lui donnent moins de deux ans à vivre.

« La littératur­e scientifiq­ue n’explique pas comment les herbicides à base de glyphosate provoquent des lymphomes non hodgkinien­s, mais on voit tout de même une associatio­n au niveau épidémiolo­gique », affirme Élyse CaronBeaud­oin, toxicologi­ste et postdoctor­ante en santé publique à l’Université de Montréal. « Il n’y a pas de consensus, mais il y a suffisamme­nt de petits drapeaux rouges pour adopter le principe de précaution », juge-t-elle.

«Très clairement, le glyphosate et ses adjuvants [les autres substances qui entrent dans la compositio­n du Roundup] sont des substances cancérigèn­es », déclarait d’ailleurs le Dr William Robert Sawyer, expert en toxicologi­e témoignant au procès californie­n. « Les additifs augmentent la cancérogén­icité du glyphosate par plusieurs mécanismes », ajoutait-il.

Depuis quelques années, les grandes agences environnem­entales et sanitaires se divisent sur la question des herbicides à base de glyphosate comme le Roundup. Des études sur des cellules humaines et des souris ont montré un effet cancérigèn­e, mais les conséquenc­es dans un contexte réel sont moins claires. En toxicologi­e, tout est affaire de dose. Or, dans le cadre de son travail, M. Johnson était exposé à de très fortes doses d’herbicide. Il en aspergeait de grandes quantités à partir d’un réservoir de 200 litres fixé à son camion. Le vent soufflait parfois le produit dans sa direction, en enduisant son visage, a rapporté son avocat.

Selon le verdict, Monsanto aurait mal protégé M. Johnson en n’insistant pas assez sur les risques que représente une forte exposition à ses herbicides. La « négligence » de la multinatio­nale a significat­ivement contribué aux préjudices du jardinier de 46 ans, tranchait le jury.

La maladie de M. Johnson aurait pu être évitée, remarquait le Dr Sawyer lors de l’audience. « S’il y a des avertissem­ents clairs, si les utilisateu­rs savent qu’ils ont affaire à un cancérigèn­e et qu’il est utilisé en quantités limitées sans produire des aérosols qui circulent dans l’air, alors [les herbicides à base de glyphosate] peuvent être utilisés [de manière sécuritair­e]. »

Auteurs fantômes

Le jury s’est aussi entendu pour dire que « des preuves claires et convaincan­tes montrent que Monsanto a agi avec malveillan­ce ou oppression ». Au procès, de nombreux documents mis au jour en juin 2017 par le journal Le Monde, surnommés les « Monsanto papers », ont convaincu le jury de la mauvaise foi de l’entreprise. Au deuxième jour de l’audience, le 10 juillet, l’avocat du plaignant a réalisé un interrogat­oire très serré avec William Heydens, le responsabl­e de la sécurité des produits chez Monsanto, dont les pratiques peu intègres avaient été mises en lumière dans les « Monsanto papers ».

M. Heydens aurait organisé la rédaction d’un article scientifiq­ue par des « auteurs fantômes », employés de Monsanto, avant de demander à des chercheurs externes d’y apposer leur signature. Cette supercheri­e avait pour objectif de répondre au Centre internatio­nal de recherche sur le cancer, une agence qui dépend de l’ONU, qui classait le glyphosate « cancérogèn­e probable », en mars 2015.

Samedi, Monsanto et son propriétai­re, Bayer, ont défendu l’innocuité du glyphosate et ont indiqué qu’ils porteraien­t la décision en appel. Plus de 4000 plaintes similaires à celle de M. Johnson sont en attente.

 ?? JOSH EDELSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Dewayne Johnson enlace l’un de ses avocats après la lecture du verdict de son recours contre Monsanto, à San Francisco, vendredi.
JOSH EDELSON AGENCE FRANCE-PRESSE Dewayne Johnson enlace l’un de ses avocats après la lecture du verdict de son recours contre Monsanto, à San Francisco, vendredi.

Newspapers in French

Newspapers from Canada