Le Devoir

Les sept vies d’un homme qui ne veut pas s’arrêter

Tour à tour sportif de haut niveau, arbitre, entraîneur, enseignant, commerçant et journalist­e, Michel Fawaz a connu l’enfer du Liban en guerre avant d’immigrer à Montréal et de devenir prêtre orthodoxe

- LISA-MARIE GERVAIS

Dans le cadre de cette série estivale, Le Devoir présente les portraits de religieux et de religieuse­s atypiques, dont le parcours de vie est souvent étonnant. Troisième texte.

De journalist­e sportif dans la ville de Beyrouth à archiprêtr­e d’une église orthodoxe de Montréal. Entre les deux, Michel Fawaz a eu une vie faite de guerre et de paix, de longs détours et de petits miracles.

« J’étais journalist­e sportif au Liban, j’analysais les matchs à la télé et à la radio. J’étais connu, vous savez ? », lance le père Michel, qui a officié pendant 25 ans à l’église Antioche de la Vierge Marie d’Ahuntsic avant de prendre sa retraite en janvier dernier. Athlète multisport de haut niveau, il fut avant cela enseignant, directeur du Départemen­t d’éducation physique à l’Université américaine et arbitre et entraîneur de basketball et de volleyball.

Fort de ses études en administra­tion, il a même tenu la boutique Fawaz Sport avec son frère, qui était aussi un athlète accompli — tout comme ses soeurs d’ailleurs. « Le sport a toujours été important dans la famille», raconte l’homme à la stature imposante. Il suffisait de quelques arbres et de bouts de bois pour tracer les limites du terrain dans le sol. « J’ai même déjà tissé un filet à la main. »

La religion toujours présente

En filigrane, la religion avait toujours occupé une grande place; il avait même déjà sérieuseme­nt pensé à devenir moine. « Malgré tous les emplois que j’ai eus, j’ai toujours continué à enseigner la catéchèse dans les écoles. Ça restait dans mon coeur », dit le père Michel. Garçon à la voix d’or, il a été enfant de choeur jusqu’à ce qu’il soit nommé chanteur principal par l’archevêque de Beyrouth… à l’âge de 17 ans.

Petit, il est marqué par un événement qui l’ébranlera et influera sur sa vision comme prêtre.

C’était le 6 janvier, jour de l’Épiphanie où les évêques vont bénir les demeures. «Je jouais dans le jardin et l’archevêque est arrivé chez nous accompagné du diacre, du prêtre et de l’archiprêtr­e. C’était pour bénir notre maison », raconte-t-il, précisant que le cortège était aussitôt reparti après la bénédictio­n, sans égard aux maisons des voisins plus pauvres. «Ma mère m’avait dit que c’était parce que mon grand-père, qui était riche, avait payé l’archevêque en secret avec des pièces d’or. Je me suis toujours dit que, si je devenais prêtre un jour, j’allais bénir toutes les maisons. »

De la guerre à la paix

En 1975, la guerre civile éclate au Liban. Michel et sa famille l’ont endurée pendant plus de 15 ans. « Ma maison a été bombardée trois fois. On dormait dans l’abri souterrain tous les soirs. C’était l’enfer », se rappelle-t-il.

Les chrétiens vivaient à Beyrouth-Est et les musulmans, à l’ouest. Mais lui devait tous les jours franchir la fameuse ligne verte séparant la ville en deux pour aller travailler et revenir chez lui. « J’ai été arrêté trois fois dans les check points », raconte-t-il. La dernière fois aurait pu être fatale. « Je travaillai­s comme analyste sportif à la télévision et dix personnes étaient venues me chercher à la porte de la station pour me tirer dessus. »

C’est son patron qui a vu ce qui se tramait par la fenêtre du 6e étage qui l’en a discrèteme­nt avisé. L’armée l’a finalement escorté jusque chez lui. «On a décidé de tout quitter. »

Il avait 49 ans, une épouse — elle aussi athlète — et deux enfants. Un ami archiprêtr­e les a aidés à s’enfuir vers Chypre. Mais il n’y voyait pas d’avenir et savait, en revanche, que bon nombre de ses compatriot­es avaient mis le cap vers le Canada. « Le consul canadien de Chypre m’a demandé ce que je voulais aller faire làbas. Je lui ai répondu que je voulais sauver mes enfants. Il m’a dit : « Bienvenue au Canada ! » »

En arrivant ici, il lui fallait vite trouver un travail. Arrivé avant lui comme réfugié, le politologu­e Sami Aoun, qui avait été mis en contact avec Michel Fawaz, l’a fait entrer à Radio-Canada Internatio­nal. Il a été lecteur de nouvelles, puis affecté aux sports. « J’ai couvert les Jeux du Canada, même le hockey ! »

Le désir d’être prêtre

En parallèle, il y a toujours ce fort désir d’être prêtre, qu’il assouvit finalement en étudiant la théologie en anglais à l’Institut St-Stephen, à la suggestion du métropolit­e Philippe Saliba. Ce dernier ne voyait pas comment un journalist­e sportif connu au Liban pouvait soudaineme­nt devenir prêtre à 50 ans et, trois ans plus tard, il fut donc surpris d’apprendre que Michel Fawaz avait bel et bien un diplôme en poche.

Négligeant tout le protocole requis, l’archevêque l’a finalement ordonné en une fin de semaine. « J’ai reçu un coup de fil du diacre à Radio-Canada le vendredi me disant que j’allais être ordonné le dimanche. Je n’avais même pas de costume noir à me mettre. Pour moi qui attendais ça depuis tellement d’années, c’était un miracle. »

La vie du père Michel venait complèteme­nt de changer. Tout était à bâtir. Il allait désormais consacrer sept jours sur sept à sa communauté chrétienne orthodoxe, à visiter et à bénir des maisons — toutes, pas seulement celles des riches ! « Au début, j’ai visité une centaine de maisons à Dollard-des-Ormeaux, Rosemère, Mirabel, jusqu’à Trois-Rivières. C’est comme ça que ma paroisse a grandi. Nous sommes 1500 maintenant », s’enorgueill­it l’archiprêtr­e. Être prêtre, c’est aussi — et surtout — écouter. «Près de 90% de mon temps est consacré à régler des problèmes de familles, des chicanes de parents et d’enfants… et des divorces, ditil en soupirant. Il y en a presque plus que des mariages. C’est triste. »

La retraite à contrecoeu­r

En janvier dernier, alors qu’il venait de célébrer 25 ans de prêtrise dans sa superbe église toute repeinte et décorée de nouvelles icônes grâce à ses efforts et à ceux des fidèles, le père Michel a été invité à prendre sa retraite.

Lui se sentait pourtant infatigabl­e, mais c’est le métropolit­e de l’Amérique du Nord, qui compte quelque 300 églises orthodoxes au Canada et aux ÉtatsUnis, qui en a voulu ainsi. « Ce n’est pas nous qui prenons la décision, c’est comme ça», explique l’homme, qui aura 80 ans au printemps prochain.

Malgré tout, la vie de l’ancien sportif — qui s’entraîne encore une heure par jour — semble plus occupée que jamais. « Je consacre mon temps à mes petitsenfa­nts et j’ai des projets d’écoles et de maisons pour personnes âgées. Je suis aussi conseiller spirituel et je prépare un livre », énumère-t-il, enthousias­te. « Et j’ai le projet de faire chaque jour un discours sur l’Évangile que les gens pourraient écouter au téléphone. »

On sourit volontiers en imaginant que ce serait avec la fougue et la verve du commentate­ur sportif qu’il fut jadis à la radio et la télévision.

Le consul canadien de Chypre m’a demandé ce que je voulais aller faire [au Canada]. Je lui ai répondu que je voulais sauver mes enfants. Il m’a dit : « Bienvenue au Canada ! » MICHEL FAWAZ

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Michel Fawaz dans l’église d’Antioche de la Vierge Marie, à Montréal, qu’il a contribué à rénover
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RELIGIEUX AUTREMENT

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