Les recettes magiques n’existent pas
Le prix ou la qualité ? En matière d’octroi des contrats publics, la réponse à cette question est aussi difficile à trancher que le sempiternel débat sur les origines de l’espèce. Aussi bien s’interroger sur qui, de l’oeuf ou la poule, est venu en premier. Ce débat sur le mode d’attribution des contrats publics, un des sujets au coeur des travaux de la commission Charbonneau, a repris récemment à la suite de la publication d’un projet de règlement visant à modifier les règles d’attribution des contrats de services professionnels au ministère des Transports et à la Société immobilière du Québec. Le ministre délégué à l’Intégrité des marchés publics, Robert Poëti, veut permettre à ces deux organisations d’octroyer les contrats de services selon le mode du plus bas soumissionnaire.
La grogne est palpable. Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec ont reproché au gouvernement Couillard de vouloir revenir aux bons vieux jours de la collusion. Sous le leadership de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) et de l’Association des firmes de génie-conseil (AFG), plus d’une vingtaine d’organisations, et non les moindres, ont souligné dans une lettre ouverte les risques inhérents à l’attribution des contrats de services au plus bas soumissionnaire. La qualité des ouvrages, voire même la sécurité du public, sera compromise, disent-ils. Les signataires, parmi lesquels figurent le Conseil du patronat, la Corporation des entrepreneurs généraux, l’Ordre des architectes, l’Ordre des ingénieurs, des universitaires et des environnementalistes évoquent même le douloureux souvenir de l’effondrement du viaduc de la Concorde, à Laval.
Les voix discordantes se font bien rares. Le président de Transparency International Canada, Paul Lalonde, juge qu’il n’y a rien d’anormal à faire du prix un critère prioritaire pour des projets normaux n’exigeant pas de prouesses techniques. « Je ne crois pas que le remplacement d’un système de lumière sur une autoroute ou la réparation des nids-de-poule nécessite qu’on choisisse la firme la plus expérimentée », a-t-il dit en guise d’illustration. C’est d’ailleurs le sens que le ministre Poëti attribue à sa démarche. L’attribution des contrats de services au plus bas soumissionnaire sera réservée aux cas d’exception, a-t-il assuré.
Les travaux de la commission Charbonneau ont démontré l’effet pernicieux de l’octroi des contrats publics au plus bas soumissionnaire, utilisé à partir de 2002, selon un système de pondération complexe en vertu duquel le prix comptait pour 85 % de l’évaluation d’une soumission et la qualité de l’ouvrage pour 15 %.
Pour éviter une « guerre de prix », les firmes de génie-conseil ont élaboré des stratagèmes de collusion, en s’échangeant les contrats à fort prix dans un club fermé qui a scandalisé les Québécois. Ce système a renforcé la domination des grandes firmes au détriment des petites, car elles étaient les seules en mesure de réduire les prix pour accaparer les contrats, quitte à se renflouer par la facturation des extras. Il a en outre réduit le critère de la qualité à sa plus simple expression. Pour autant que la sécurité du public n’était pas compromise, un projet passait avec succès le test de qualité. Loin de garantir le meilleur ouvrage au meilleur prix, ce système a assuré au contraire la prospérité de filous qui nous ont légué, d’un point de vue de l’architecture et de l’aménagement, la laideur et la banalité en héritage.
Les critiques oublient cependant que l’attribution des contrats selon le critère de la qualité ne donne guère de meilleurs résultats. L’évaluation des soumissions selon leur qualité étant largement subjective, cette méthode ouvre la porte au copinage entre les donneurs d’ouvrage et les fournisseurs de services, comme c’était le cas avant la réforme législative de 2002. Il n’y a rien de plus facile que de favoriser les firmes amies d’un régime dans un système basé sur l’évaluation de la qualité des ouvrages.
L’octroi des contrats publics au meilleur coût possible n’est malheureusement pas une science exacte. Prix ou qualité ? Les deux méthodes peuvent cohabiter, selon la nature des ouvrages et des services requis. Au-delà de cette question, il faut aussi s’attarder à l’encadrement et à la supervision des processus d’attribution des contrats publics, à stimuler l’émergence de la concurrence dans des marchés fermés, notamment dans le domaine de l’asphaltage, à détecter et à empêcher les stratagèmes de collusion. C’est parce que les pouvoirs publics ont manqué de vigilance et d’éthique que le copinage et la collusion se sont installés à demeure pendant si longtemps au Québec, et non en raison d’un mode d’attribution des contrats en particulier. Ne l’oublions pas.